The Power of the Dog Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni 2021 – 125min.

Critique du film

There will be blood

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Oscarisée en 1994 pour La Leçon de piano, Jane Campion signe son grand retour au cinéma avec un western tortueux, cynique et terriblement brillant. L’adaptation du célèbre roman de l’écrivain Thomas Savage. Un film présenté en avant-première lors de la dernière Mostra de Venise.

Dans les années 20, deux frères cowboys vivent parmi leurs bêtes dans les montagnes du Montana. Il y a Phil Burbank (Benedict Cumberbatch), un homme brillant, mais cruel, et puis le cadet, George (Jesse Plemons), amateur de tuxedo et à la personnalité plus sensible. Alors qu’ils viennent d’hériter du plus grand ranch de la région, George fait la rencontre de la veuve Rose (Kirsten Dunst), et de son fils Peter (Kodi Smit-McPhee), jeune étudiant en médecine à la personnalité complexe. Un mariage se profile à l’horizon et n’en déplaise à Phil, les voilà désormais les hôtes par alliance de ce ranch.

Certainement l’une des cinéastes les plus acclamées de sa génération, Jane Campion revient sur grand écran 12 ans après son dernier long-métrage (Bright Star) et nous plonge dans la toxicité étouffante du roman semi-autobiographique de Thomas Savage. Un ranch au milieu des Rocheuses, publié en 1967 «The Power of the Dog» est une fable psychologique où le diable porte bien des visages. Sorte de roman imprenable, presque insondable ; l’histoire complexe de deux frères, symptomatiques de cette «richesse tranquille» dont parlait Annie Proulx dans la postface du livre, à l’aube d’une union, face au vertige de l’Ouest et aux portes d’un siècle industriel.

Au pays des âmes esseulées, il y a la toute puissance nocive d’un Phil, son frangin «Georgie Boy», comme il l’appelle, qui tente de s’excaver loin de sa condition, et Rose et son fils qui rejoignent la volte des deux frères. Et la grande dépression qui s’annonce sera bien la leur. Dès l’ouverture, et porté par la partition désaccordée du musicien Jonny Greenwood (Radiohead), The Power of the Dog s’annonce effroyablement froid, tendu. Le poids du silence, la lenteur étourdissante ; la réalisation organique accompagne la cinématographie magnifique d’Ari Wegner qui racle les montagnes et les malversations du cœur à grands coups de caméra. Une narration visuelle, musicale et minutieuse faite de cuir, d’eau, de terre et de sang et d’un diabolique sens du détail, attentif au mal-être de ses protagonistes et à leurs intimités caverneuses.

Découpé en plusieurs chapitres, quand l’arrivée de Peter ravive chez Phil le souvenir d’un certain Branco Henry, The Power of the Dog questionne aussi la masculinité au début du 20ème siècle. Le personnage de Kodi Smit-McPhee l’interroge lui-même de quelques mots programmatiques : «Quel homme serais-je si je n’aidais pas ma mère ?», cette même mère incarnée par une étonnante Kirsten Dunst, et qui doucement s’évade parmi les vapeurs d’alcool. Qu’elles soient de chair ou de papiers, elles sont nombreuses les roses à brûler sous le ciel de Phil. Alors Peter tentera de libérer sa mère du pouvoir du chien.

Ainsi la cinéaste originaire de Wellington dévoile un western parmi ses thèmes de prédilection, porté par une distribution exemplaire ; situé à la frontière nébuleuse qui sépare le désir et l'abnégation, le génie et la folie. Alors soyons attentifs, car la maestria de Jane Campion opère dans l’insouciance générale, mais juste sous nos yeux. Il faudra observer le persifleur qui aboie dans un coin du cadre, les gestes des mains, les rires des uns, la bouteille des autres, et gare à celui qui ne dit mot. Ici le diable et l’or se mêlent dans les recoins obscurs d’une fresque époustouflante.

19.11.2021

5

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CineFiliK

il y a 2 ans

“Brokeback Montana”

Phil et George Burbank, deux caractères opposés, viennent d’hériter du ranch de leurs parents. Quand le cadet épouse une veuve et la ramène à la maison avec son fils, la cohabitation s’envenime.

Il surjoue les hommes durs, sales et cruels pour mieux dissimuler au fond de lui des sentiments incompris. Castrant les taurillons à main nue, il est aussi le plus lettré des deux, joue du banjo et tresse des cordes. Pas à sa place, elle prend une leçon devant un piano et noie sa « melancholia » dans les bouteilles d’alcool. Quant à son garçon, ses manières le met en marge des cow-boys du lieu. Seul dans sa chambre, il dissèque avec intérêt les animaux qu’il piège. Trois âmes tristes et secrètes qui pourraient se rapprocher, au risque de se consumer.

Jane Campion nous offre un western subtil et cruel. Sa mise en place est certes lente, taciturne, le temps de s’imprégner des vastes plaines et Rocheuses du Montana de 1925 dans lesquelles se cachent les chiens et les loups. Préférant la retenue à l’action, elle tisse peu à peu sa toile révélant progressivement les forces et faiblesses de ses personnages. Adaptée d’un roman de 1967 et découpée en chapitre, son histoire interroge la masculinité dans un milieu où le mâle règne en maître. La mise en scène soignée et le regard féminin de la Néo-Zélandaise lui apportent une modernité envoûtante.

(7.5/10)Voir plus

Dernière modification il y a 2 ans


vincenzobino

il y a 2 ans

La nouvelle leçon de piano
Montana les années 1920: George vient d’épouser Rose et veut la présenter ainsi que son fils Peter au reste de sa famille dont son frère Phil, le parfait opposé de son frère social, véritable solitaire et refusant clairement la présence de cette alcoolique au sein de son foyer. Mais c’est sans compter sur Peter et une certaine orientation.
Le voici donc ce retour attendu de Dame Campion que je n’ai pu voir à Lyon en octobre. En adaptant un best-seller sulfureux, la promesse d’une nouvelle leçon était annoncée. Elle est brillamment tenue.
Il y avait un certain scepticisme quand au choix de l’horaire en sortant d’une journée de travail. Ce scepticisme m’a accompagné durant les dix premières minutes où je pensais à tort assister à une lente accusation sur une nouvelle agression féminine. Le message est tout autre.
Magnifiquement filmé et interprété, particulièrement Cumberbatch grandiose, cette analyse féroce d’une relation interdite totalement pudique à une exception forte sachant qu’une femme est derrière la caméra ce qui amplifie le tableau alors présenté, est brillante et va vraisemblablement en dérouter. Sans compter le pourquoi du titre que l’on croit un instant être géologique et qui finalement est une véritable claque humaine non sans conséquences.
Une brillante analyse humaine a recommander.Voir plus

Dernière modification il y a 2 ans


Sequoia

il y a 2 ans

Dans un cadre naturel à couper le souffle, à coups de non-dits et de suggestions, Jane Campion nous raconte avec beaucoup de subtilité, l’histoire d’un cowboy, tyrannique, caractériel, solitaire et triste. Une caricature du macho comme seuls les homosexuels refoulés peuvent l’être.

Son frère taiseux, sa belle-sœur gentille et perdue et le fils efféminé et déterminé de celle-ci subissent le sale caractère du cowboy frustré qui finira tout de même par en avoir pour son grade.

Cumberbatch très crédible, dans un film fort, sans violence physique, qui nous tient en haleine tout en tissant lentement et minutieusement les liens entre les différents personnages.Voir plus


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