Kritik28. September 2020

«Billie» - Patchwork de conversations perdues

«Billie» - Patchwork de conversations perdues
© PRAESENS

Le réalisateur britannique James Erskine exhume les archives de Linda Lipnack Kuehl qui avait enquêté à la fin des années 60 sur la vie de Billie Holiday. Un morceau d’histoire (musicale) dans un écrin journalistique.

Lester Young la surnommait Lady Day, madone du swing au milieu d’une époque en branle, première icône de la lutte contre la ségrégation, Billie Holiday décède mystérieusement en 1959 au Metropolitan Hospital de New York. À la fin des années 60, son histoire intéresse la journaliste Linda Lipnack Kuehl qui commence une série d’entretiens pour les besoins d’une biographie officielle. 200 heures de témoignages seront réunies, parmi eux, Charles Mingus, Tony Bennett, Sylvia Syms, Count Basie, ses amants, ses avocats, ses proxénètes et même les agents du FBI qui l'ont arrêtée... Le réalisateur britannique James Erskine croise les histoires et les archives pour faire la lumière sur deux histoires étouffées.

Une jeune chanteuse de 23 ans s’apprête à chanter sur la scène du Café Society à New-York. Elle s’est fait les crocs à Harlem avec le big band de Count Basie, ce soir elle est seule. Les lumières s'estompent pour la Lady de satin, dans ses mémoires elle confie avoir eu l’impression de faire une terrible erreur, pourtant le concert arrive à son terme, le silence règne, pas un bruit, plus un service au bar, rien ne s’oppose alors au souffle qui s’annonce, et Billie Holiday d'entamer: «Southern trees bear a strange fruit - Blood on the leaves Blood at the root - Black bodies swinging in the southern breeze.»

«Un documentaire aux airs de film noir...»– Théo Metais

Un grain patiné, un timbre de légende, en ce soir de 1939, elle chante pour la première fois «Strange fruit»; le chant du siècle comme l'écrira en 1999 le Time Magazine, un poème cinglant inspiré par la pendaison et le lynchage de Thomas Shipp et Abe Smith en 1930 dans l’Indiana. Avec «Billie», le réalisateur britannique James Erskine exhume les archives et les enregistrements de la journaliste Linda Lipnack Kuehl pour faire la lumière sur la vie de celle «qui se battait pour l'égalité bien avant Martin Luther King» selon Charles Mingus, une icône du XXᵉ siècle.****

«Billie» - Patchwork de conversations perdues
«Billie» © PRAESENS

Billie est alors le portrait croisé de deux femmes dans un documentaire aux airs de film noir au cœur de New-York. Repérée à 18 ans par John H. Hammond, producteur pour Columbia, à 23 ans la jeune Billie a déjà vu bien des choses, les bordels de Baltimore, un viol, la ségrégation, l’absence d’un père. Bientôt surnommée «Mister Holiday» en raison de ses relations féminines, les débuts au Café Society entame une longue et périlleuse descente aux enfers pour la musicienne.

«Deux histoires antagonistes se répondent...»– Théo Metais

Deux histoires antagonistes se répondent, l’une commence dans les ghettos de Philadelphie en 1915, l’autre se lit dans les pages de magazines prestigieux. Les deux femmes ne se sont jamais rencontrées, tour à tour leurs destins se croisent dans un dialogue d’outre-tombe. La vie de Billie Holiday, ses amants, ses proxénètes, son irréductible talent, son chien qui lui livrait ses doses et sa volte sur les routes trop blanches des États-Unis. James Erskine exhume les enregistrements de Linda Lipnack Kuehl et monte un documentaire fait d’archives et d’entretiens, l’occasion aussi de découvrir la sœur de Linda Lipnack Kuehl qui nous dévoile les arcanes de son enquête et sa disparition mystérieuse.

«Billie» - Patchwork de conversations perdues
«Billie» © PRAESENS

Patchwork de conversations perdues; un genre popularisé par la célèbre plateforme de streaming au “N” rouge, Billie révèle un montage en somme conventionnel mais une histoire passionnante pour ce qu’elle raconte du XXᵉ siècle et d’une industrie musicale gangrenée à la moelle par le racisme. Un must-see pour les féru.e.s de Lady Day, d’histoires et d'enquêtes journalistiques.

3,5/5 ★

Plus d'informations sur «Amazing Grace».

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