Interview

Leonardo DiCaprio : «J’aurais fait tout ce qu’Alejandro me demandait...»

Interview: Geoffrey Crété

Nul doute possible : «The Revenant» d’Alejandro Gonzalez Inarritu («Birdman», «21 Grammes») avec Leonardo DiCaprio marquera les mémoires. Alors que le film est nommé douze fois aux Oscars, et pourrait valoir une deuxième statuette consécutive au cinéaste et une toute première pour l’acteur superstar, on a rencontré le duo.

Leonardo DiCaprio : «J’aurais fait tout ce qu’Alejandro me demandait...»

Alejandro Gonzalez Inarritu, vous avez porté The Revenant pendant des années, jusqu’à un tournage éprouvant qui a duré des mois, dans des conditions extrêmes. Comment expliquez-vous cette passion totale ?

Il y a d’abord l’incroyable aventure physique de ces hommes, qui s’est passée il y a deux cent ans, et qui est fascinante. Leur résistance, leur instinct de survie, c’est incroyable. L’autre chose qui m’a fasciné ce sont les possibilités cinématographiques de ces paysages, où je n’avais jamais été et qui me terrifiaient. Et être effrayé à l’idée de faire ce film était un beau signe que je devais le faire. Par ailleurs, l’histoire se passe à la naissance des Etats-Unis, et beaucoup des choses qui s’y sont passées – comme la peur de l’Autre -, résonnent encore dans le monde d’aujourd’hui.

Justement, parler de la naissance de l’Amérique dans la violence, c’était important à vos yeux ?

C’est l’histoire de tout le colonialisme : la rencontre entre deux cultures, avec l’incompréhension, l’injustice, l’abus de la nature, des communautés. L’histoire n’est pas différente quand on regarde les Espagnols qui sont arrivés en Amérique. C’est dur de juger ces gens sans le contexte de l’époque. Beaucoup de choses étaient mauvaises à l’époque, d’autres étaient bien, mais ce qui me frappe le plus c’est que beaucoup de ces choses n’ont pas changé. La manière dont on interagit avec la nature et les différentes sociétés, le désir de conquête et de profit, l’ère du capitalisme occidental, tout ça a été implanté de manière très claire à travers le colonialisme.

Leonardo, qu’est-ce que ce rôle représente dans votre carrière avec le recul ?

C’était une expérience totalement unique. Recréer l’histoire des gens dans des décors naturels nous a donné presque toutes les réponses pour comprendre cet homme, et comprendre de quoi parlait ce film. C’est un rôle très intériorisé, et c’était intéressant car ça m’a poussé à me reposer davantage sur l’instinct. Toute la préparation s’est en quelque sorte évaporée dans ces paysages et ce rapport à la nature. C’est presque devenu un film complètement différent une fois arrivés là-bas. Je pense que c’est ce que j’ai vu dans les yeux d’Alejandro : il voulait créer une expérience immersive, un réalisme extrême.

Que pouvez-vous dire sur cette incroyable scène de l’ours ?

Les gens parlent beaucoup de cette scène pour de bonnes raisons. Je pense que ce qu’a fait Alejandro est du jamais vu au cinéma. Ça a évidemment été beaucoup de préparation. Il n’est pas arrivé avec sa caméra en me demandant de sauter dans tous les sens dans la forêt. C’est une expérience de cinéma voyeuriste : on regarde cette bataille entre l’Homme et la Bête. On sent les éléments littéralement sur l’objectif de la caméra, et on regarde quelque chose qu’on ne devrait pas regarder. Ça a été des semaines et des semaines de préparation et répétitions, avec des choses très viscérales, et un vrai soin apporté aux moments de silence, qui participent énormément à la tension. C’est vraiment un homme complètement victimisé par une force bien plus puissante. L’utilisation des effets spéciaux est très précise. Leur but était de rendre la chose plus immersive, pour salir l’atmosphère, apporter plus de poids, de lourdeur aux éléments. On a l’habitude de voir des effets spéciaux où tout semble voler et flotter, sans poids. Là, c’était une expérience qui cloue au sol. Je n’avais jamais vu de telle scène au cinéma, donc les gens en parlent pour ces raisons.

En quoi apprendre à parler deux langues indiennes a t-il été important pour le rôle ?

Plus que l’apprentissage en lui-même, ce qui a été fort a été de rencontrer ces gens, et voir tout ce qui leur avait été volé. Comme l’a dit Alejandro, toute cette violence d’il y a deux cents ans est encore là, dans notre présent. Parallèlement à The Revenant je travaillais sur un documentaire sur le réchauffement climatique. J’ai été amené à beaucoup voyager, notamment au Canada, et on voit des cultures entières qui sont déplacées. A cause de forces capitalistes surpuissantes, qui extraient des ressources, mais à quel prix ? Des arbres coupés, des rivières empoisonnées, et la destruction systématique du monde naturel… Tout ça arrive partout dans le monde à une vitesse sans précédent.

Quand vous choisissez un film, c’est important qu’il y ait un message écolo ?

J’adorerais trouver plus de films qui ont un message écologique. Je choisis traditionnellement des histoires qui nous donnent un aperçu de ce que c’est que d’être humain. C’est ce qui m’intéresse : des films qui nous aident à comprendre la condition humaine. J’aimerais trouver un film entièrement écologique, avec une bonne formule du point de vue narratif, mais je n’ai pas encore accompli ça. Même si The Revenant a par exemple un sous-texte écologique. Depuis deux ans je fais des documentaires, et c’est déjà assez dur de décrypter et partager la science des changements climatiques, mais mettre ça dans une formule de film, qui ne comporte pas de vagues géantes qui s’écrasent contre l’Empire State Building, qui soit assez réel pour impliquer les gens, leur faire comprendre que ça a des effets sur notre futur… Le documentaire me semble plus adapté. On a tourné en Argentine, en Arctique, en Chine, à travers le monde, et récemment lors de la COP21 à Paris on a interviewé Ban Ki-Moon, John Kerry, Bill Clinton, des dizaines de scientifiques. J’espère que le film sortira cette année. Pour que les gens comprennent profondément que c’est la plus crise existentielle qu’ait affronté l’humanité, et qu’on va devoir évoluer en tant qu’espèce. Que ce n’est plus une question d’individu, mais de « nous », ensemble.

Alejandro Gonzalez Inarritu, vous avez bien eu droit à une cérémonie d’accueil avant le tournage, pour vous autoriser à travailler sur ces terres ?

On tournait dans les terres indigènes, donc en gros on voulait qu’ils nous permettent de le faire. Ces communautés sont très attachées à leurs traditions, et honorent la nature d’une manière qu’on ne comprend malheureusement pas. Ils ont ces cérémonies très belles où ils demandent la permission à la terre, et nous ont donné une bénédiction. Moi, depuis que je fais des films, j’ai mon rituel : toute l’équipe se réunit en cercle, pendant une minute de silence. Pour créer une unité, une force. Et je refais ça à la fin. C’était amusant donc car on a d’abord eu leur cérémonie, avec des prières, puis la mienne, avec des pétales de fleurs. Deux traditions. Et ça nous a honnêtement aidés parce que durant tous ces longs mois, et ces moments risqués, personne n’a été blessé. On a eu beaucoup de chance.

Malgré la préparation, Leonardo DiCaprio, pensez-vous avoir sous-estimé l’expérience The Revenant ?

Je pense qu’on a tous sous-estimé l’expérience ! Mais j’ai d’abord fait le film pour travailler avec ce réalisateur. Je voulais faire partie d’une chose incroyablement unique. Il a mis en place une série de challenges, et dès le début avec cette introduction qu’on a répété pendant des semaines. Il a mis la barre si haute que tout le reste a été un défi incroyable. Avec en plus le fait de tourner en décors naturels, dans des conditions météorologiques extrêmes, qui nous bloquaient parfois pendant des semaines, posant ainsi d’autres problèmes. Ça a été l’expérience professionnelle la plus difficile de ma vie. On a beaucoup parlé des difficultés du tournage, mais c’est notre travail, on était là pour ça. Qu’on parle du réalisateur qui demande autant de son équipe, de ses acteurs, ça me donne envie de répondre : c’est exactement ce qu’on veut d’un réalisateur. On veut qu’il créé la chose la plus authentique qui soit, notamment pour immerger l’acteur. J’aurais fait tout ce qu’Alejandro me demandait parce que sinon, qu’est-ce qui nous amène à faire tout ça ? Si ce n’est pour créer une œuvre d’art en étant le plus authentique possible ? C’est ce qu’on veut donner au public, et ça demande beaucoup de travail, et ce qu’on attend du réalisateur. Sinon, c’est une perte de temps.

19 janvier 2016

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