White Building Cambodge, Chine, France, Qatar 2021 – 90min.

Critique du film

Sans foi ni toit

Critique du film: Kevin Pereira

Distingué par une sélection surprise à La Mostra de Venise en 2021, White Building est un premier long-métrage, celui du jeune réalisateur cambodgien Kavich Neang, qui allie à sa force politique un subtil récit initiatique, au travers d’une mise en scène dont le soin n’a d’égal que sa précision.

Produit d’un plan d’urbanisme mis en place en 1963 pour loger, au cœur de Phnom Penh, capitale du Cambodge, les fonctionnaires du ministère de la Culture, le « White Building » a connu une histoire à la fois riche et fondamentalement tragique : vidé de l’ensemble de ses habitants avec l’intronisation des Khmers rouges, mouvement politique d’inspiration maoïste, à la tête du pays, l’immeuble accueille à nouveau, dès 1980, la population cambodgienne et, parmi elle, le père du cinéaste. La trajectoire de l’édifice renoue avec la tragédie lorsqu’une compagnie hongkongaise, en 2017, rachète l’intégralité du terrain pour y construire un majestueux casino.

Au prisme de cette histoire, il est difficile – pour ne pas dire impossible – de ne pas comprendre l’ouverture du film comme un rappel visuel de cette fatalité : les toits de l’immeuble, balayés par un travelling latéral, sont saisis lentement, solennellement, par une caméra qui les surplombe, de sorte à dire d’emblée l’écrasement imminent. Dès lors, aucune fuite n’est possible, contrairement à ce que nous indique le ciel, continuellement présent à l’image. « Si un jour on est libres, on pourrait faire un tour en bateau » dit Samnang, 20 ans, à son meilleur ami, avec l’horizon en leurre à l’arrière-plan.

Au-delà de signifier la dépossession, la privation de liberté que la précarité impose aux plus démunis, cette ligne de dialogue nous renseigne surtout sur le regard juvénile au monde de Samnang, un regard initialement habité d’impossibilité : une séquence nous le montre, les yeux émerveillés, devant une paire de chaussures Nike, une autre rend intelligible son désir de « manger la bouffe sur les panneaux publicitaires », enfin, une troisième les figure, lui et ses deux meilleurs amis, dansant afin de payer leurs études.

Mais loin de s’en tenir à cette mélancolie ambiante, qui n’en demeure pas moins émouvante, l’écriture ose effectuer un déplacement tenace : de la résilience initiale, il chemine ensuite vers la résistance. Or, la résistance, on ne le sait que trop bien, hélas, est toujours partielle – relationnelle : elle oppose ceux qui rêvent d’autre chose à ceux qui se résignent. En ceci précisément le film est d’une justesse ingénieuse : rêveur parmi le cauchemar – celui de la guerre immobilière – qui hante tous ceux qui l’entourent – ses parents, ses voisins, sa sœur et même ses amis –, Samnang incarne une autre voie possible, une voie qui affronte par l’interrogation, la remise en question, une société muette, brisée par les traumas de l’ère Khmère rouge.

Mais pour cette génération traumatisée, prise dans ce cauchemar qu’elle n’a pas choisi, il est inconcevable d’y faire face ; comme dans cette séquence, époustouflante, où Samnang, réveillé au milieu de la nuit, s’empresse d’aller raconter ses cauchemars à ses parents endormis. Saisi comme le signe inexorable de l’arrivée d’un mauvais présage, on exige de lui qu’il cesse, à la fois qu’il interrompe son récit, mais surtout qu’il arrête « d’agir comme sa sœur », c’est-à-dire d’exhiber ses rêves impossibles et sa sensibilité.

Dès lors, sa mère, en plein déni, se lève, énervée qu’on lui rappelle cette réalité de songe, et s’en va, cadrée en plan fixe, purifier l’espace, évacuer ce mauvais œil qui pourtant s’avère pleinement constitutif de sa vie. À force de détourner le regard de ce qui est, elle fait du présent la continuité interrompue de ce passé qui la nargue : une voie sans issue. Tout le contraire de son fils, en définitive.

01.07.2022

4

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