Soeurs Algérie, France 2020 – 99min.

Critique du film

Mousse et pommade

Lino Cassinat
Critique du film: Lino Cassinat

Drôle de parcours que celui de Yamina Benguigui. Réalisatrice plutôt habituée au monde du documentaire (Inch'Allah dimanche), de la production (en compagnie du milliardaire corrompu Marc Ladreit de Lacharrière, ici aussi à l’œuvre) et de la politique ayant exercée de nombreuses missions ministérielles sous divers gouvernements socialistes. Alors quel rapport avec le cinéma? C’est également la question que l’on se pose devant le ronflant Soeurs. Un long-métrage indigent et beaucoup trop conscient de lui-même.

Depuis trente ans, trois sœurs franco-algériennes vivent dans l’espoir de retrouver leur frère, enlevé par leur père et caché en Algérie. Quand elles apprennent que celui-ci est mourant, elles retournent auprès de lui dans l’espoir qu’il révèle où il se trouve et partent à sa recherche dans un pays traversé par un souffle révolutionnaire.

Dans les mains d’un Wouajdi Mouawad, d’un Rabah Ameur-Zaïmeche ou même de n’importe quelle personne n’envisageant pas une œuvre d’art comme un moyen de gagner du prestige culturel et de se faire mousser à la cérémonie des César, Soeurs aurait pu être un film véritablement génial, auscultant l’histoire de deux pays et leurs traumas à travers des personnages à l’histoire familial déchirée par les évènements historiques et les tragédies du monde. Et c’est ce que tente de faire Yamina Benguigui avec Zorah, Norah et Djamila et leurs pérégrinations à travers la Kabylie. Entre une benjamine en galère et mal à l’aise avec son identité française opposée à ses deux aînées, l’une maire de sa commune et l’autre dramaturge célèbre, toutes les trois sont à la poursuite de fantômes: le père, le frère, et une terre qui les accueillera pour ce qu’elles sont et non en raison de leur nationalité.

L’Algérie qu’elles traversent, en plein bouillonnement politique, est, elle aussi, en quête d’elle-même, comme la sororité éponyme tente de se reconstituer après un divorce et un enlèvement. De là pourrait naître un beau et évident parallèle entre ces trois sœurs et ce pays, mais cette greffe narrative ne prend pas, d’abord, car la mise en scène et le récit sont trop tournés vers ses personnages, mais surtout parce que Soeurs n’a tout simplement pas assez de substance politique. Plutôt que de mêler drame et Histoire, ici le drame s’appuie sur l’Histoire pour se donner une coloration engagée, mais on flaire vite la posture.

Alors, certes le film est d’inspiration autobiographique, et quand bien même il serait tentant d’y voir le sempiternel nombrilisme bien franco-français qui pousse les auteurs à vouloir à tout prix raconter leur vie comme un destin romanesque, on ne reprochera pas à Yamina Benguigui d’avoir vécu la vie qu’elle a eue. En revanche, difficile de rester de marbre face aux effets de sens ras des pâquerettes qu’elle en a tiré... voire du geste totalement mégalomane qui traverse la seconde partie du film et investit symboliquement ses trois personnages de rien de moins qu’un destin national. Rien que ça! Que cette «œuvre» ne soit en réalité qu’une espèce de tract politique bêtement déguisée en chef-d'œuvre littéraire germanopratin pourrait encore passer et rendre le film simplement oubliable, mais Sœurs échoue même à rendre cette démarche intéressante puisque son discours de politique générale est à peu près aussi vide de sens et riche en langue de bois... qu’un discours de politique générale de Jean Castex. Mais, vous comprenez, ici, c'est une œuvre d’art, un drame avec de grandes actrices, donc c’est pas pareil, c’est... plus profond quoi.

Dommage, car Soeurs n’est juste qu’un drame un peu prétentieux, un peu mal ficelé et globalement un peu sans intérêt, où Maïwenn, Isabelle Adjani, Rachida Brakni ou Hafsia Herzi donnent tout pour sauver les meubles. Il n’en demeure pas moins qu’il est difficile de voir autre chose dans Sœurs qu’une œuvre de façade consensuelle, plus utile à sa réalisatrice privilégiée comme outil d’influence et prétexte à prendre une posture de passionaria antique sous les colonnes de la Salle Pleyel dans une piscine de pommade qu’à nourrir un débat public sur de nombreux sujets qui demandent justement d’être urgemment traités avec un regard dépersonnalisé, critique et rigoureux. Et donc, difficile d’être conciliant. Beaucoup moins infâme que Soeurs d’Armes ou Les Filles du Soleil, autres anomalies venues d’une élite typiquement françaises autrement plus graves, mais à cacher dans la même boîte à souvenirs embarrassants du cinéma français.

02.07.2021

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CineFiliK

il y a 2 ans

“ADN”

A Paris, Zorah monte une pièce sur sa famille franco-algérienne qui distille le malaise auprès de sa mère et de ses sœurs. Elle souhaite évoquer l’enlèvement légalisé de leur petit frère par leur père retourné au pays et qu’aucune n’a jamais revus depuis trente longues années.

Dans son dernier film, Maïwenn et son personnage éprouvaient le besoin viscéral de retrouver ses racines à la suite du décès de leur grand-père. La voilà de retour dans la blanche capitale entourée d’Isabelle Adjani et Rachida Brakni, deux comédiennes qui portent également Alger dans leur ADN. Yamina Benguigui leur offre une part de son histoire.

« Frères, sœurs, mère, père, filles, grand-mère, c’est un peu complexe tout ça », fait-on comprendre à Zorah. D’autant que drame théâtral et récit filmique se confondent quand les mêmes acteurs interprètent plusieurs rôles entre passé et présent. La mise en abyme, parfois maladroite, accumule les thématiques et les chemins qu’elle emprunte n’aboutissent pas toujours. Autofiction, rapt d’enfants étrangers, guerre d’indépendance, violence faite aux femmes, intégration et double nationalité, révolte populaire face au diktat politique. Beaucoup de questions laissées sans réponses. A travers ses souvenirs et un besoin urgent de tout raconter, la réalisatrice tisse une toile effilée et perd un peu son spectateur. Demeurent une volonté sincère et une troupe engagée pour illustrer des plaies ouvertes que ni le temps ni les hommes n’ont su suturer.

(6/10)Voir plus

Dernière modification il y a 2 ans


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