Critique14. September 2022

«Moonage Daydream» - David Bowie : Alunissage de l’homme aux mille visages

«Moonage Daydream» - David Bowie : Alunissage de l’homme aux mille visages
© Universal Pictures International Switzerland

Brett Morgen, connu pour ses documentaires sur Kurt Cobain et Jane Goodall, portait depuis cinq ans ce projet tentaculaire d’une œuvre à l’image de l’artiste multidisciplinaire David Bowie. Avec le soutien des proches de l’icône et de son producteur musical Tony Visconti, le cinéaste assemble archives inédites et interviews dans un montage rock et enchanteur qui transcende son héritage.

(Une critique de Eleo Billet)

Six ans après la mort de l’artiste, «Moonage Daydream» est le premier documentaire approuvé par lafamille de David Robert Jones alias David Bowie à offrir un hommage à la hauteur de l’homme que l’oncroyait insaisissable. Pour le grand public il est acteur et auteur-compositeur, mais ses hobbys bien plusvastes le révèlent à nous : il peint, sculpte, filme, écrit, compose, voyage autour du globe en quêted’inspiration et finalement à la recherche de lui-même.

Plus qu’un touche-à-tout, l’artiste a puisé les paroles de ses chansons de son enfance et ses rêveries, et s’est réapproprié le théâtre kabuki, le mime ouencore la culture queer des années 70 pour ses performances. Musicien anglais déchaînant les foules,personnage espiègle naviguant entre les genres et sûr de lui ou créateur humble avançant dans la vie àl’aveugle et doutant du futur, autant de pans explorés à la faveur d’un montage kaléidoscopique pour unretour haut en couleur sur le destin de celui qui, à 16 ans, voulait vivre la plus grande des aventures.

Les interrogations philosophiques et spirituelles rythment alors le film...– Eleo Billet

Après le fade et peu inspiré «Stardust» (2020), force était d’admettre que David Bowie ne pouvait être incarné que par lui-même à l’écran. Lui qui a brillamment épousé les traits de Nikola Tesla ou Andy Warhol a construit une existence si riche et mouvementée que seul un film non-linéaire prêt à plonger dans ses souvenirs et ses facettes enfouies pouvait lui faire justice. C’est justement le projet de Brett Morgen, qui reprend l’idée de son précédent documentaire musical «Kurt Cobain: Montage of Heck» (2015), pour former, à l’aide de vidéos et documents personnels, un aperçu unique de la vie de l’artiste.

Loin de chercher l’exhaustivité ou de faire un jugement posthume de Bowie, le cinéaste imprègne «Moonage Daydream» de son admiration et laisse son sujet introduire et clore le reflet de son œuvre à sa façon. Honnête également dans sa représentation du musicien sur scène et de l’amour de son public qui, à force, devient un peu Bowie, le documentaire explore tant les influences de l’artiste que ce qu’il laisse à la postérité : son style et ses déclarations sur sa bisexualité ayant contribué à l’avancement des droits des personnes queer au Royaume-Uni.

«Moonage Daydream» - David Bowie : Alunissage de l’homme aux mille visages
© Universal Pictures International Switzerland

Les interrogations philosophiques et spirituelles rythment alors le film qui, lorsqu’il ne reproduit pas le chaos cher à Bowie, multiplie les réflexions sur l’identité, le but de la vie et nos comportements face au futur et à l’impermanence des choses qui inspirent les créations de l’auteur. Sans autre fil conducteur que des événements clés comme ses débuts dans le glam rock, son quotidien à Los Angeles en contraste de Berlin Ouest ou encore son mariage avec Iman, le documentaire prend la liberté narrative de passer rapidement sur ses addictions ou la naissance de ses enfants, pour embrasser sa carrière artistique loin des projecteurs.

Aussi, ce qui rend incontournable «Moonage Daydream» et en fait l’un des plus beaux documentaires de ces dernières années réside dans ses transitions psychédéliques, picturales et les rappels au 7e art dont il transcende les extraits présentés. En effet, Brett Morgen ne se contente pas de superposer des explosions de couleurs et de sons à l’écran dans une célébration de la synesthésie ou de citer Nagisa Ōshima et Georges Méliès en vain.

Plus qu’un touche-à-tout, l’artiste a puisé les paroles de ses chansons de son enfance et ses rêveries– Eleo Billet

Les motifs visuels qu’il répète, de l’exploration lunaire aux néons illuminant Bowie sur des escalators, construisent un dialogue entre l’homme et les différentes figures derrière lesquelles il a dissimulé sa personnalité en concert et en interviews. L’évolution de ses points de vue sur la religion, l’amour, la célébrité et la mort aux moments charniers de sa vie émouvra les inconditionnels comme les néophytes, si les extraits de ses concerts ne l’ont pas déjà fait.

«Moonage Daydream» ne justifie peut-être pas ses 140 minutes constituées de nombreuses répétitions formelles, mais fait office de sublime passage de flambeau, supervisé par Tony Visconti, et de dernier adieu de la star à ses admirateurs.

4/5 ★

À découvrir au cinéma.

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