Critique3. Januar 2024

Critique de «Les Herbes sèches», rien de plus complexe qu’un simple brin d’herbe

Critique de «Les Herbes sèches», rien de plus complexe qu’un simple brin d’herbe
© 2024 trigon-film

Sombre et subtil drame en terres enneigées, Nuri Bilge Ceylan livre un long-métrage qui, fort de ses dialogues, de ses interprétations et de son imprévisibilité, confère un fort et perturbant sentiment de réel.

(Une critique de Colin Schwab)

Samet (Deniz Celiloglu), un célibataire approchant la quarantaine, enseigne depuis quatre ans dans un village perdu au sein de la campagne turque. Cet endroit que la neige ensevelit la majorité de l’année est loin de lui plaire : il ne rêve que du moment de sa mutation à Istanbul, à laquelle il devrait bientôt avoir droit. Mais lorsque sa relation trop intime avec l’une de ses jeunes élèves est révélée, son projet de départ est mis à mal.

En véritable character study, «Les Herbes sèches» se contraint, pendant ses trois heures dix-sept, au point de vue de son personnage principal : aucune scène où il n’est pas présent ne nous sera montrée. Même si nous le côtoyions intensément et longtemps, le personnage de Samet a cela de passionnant qu’il reste tout de même insondable, difficilement prévisible et ambigu, sans que sa crédibilité n’en soit atteinte. Le fait qu’il ne soit que très rarement représenté seul ou dans des lieux intimes (sa chambre à coucher par exemple), ou autres endroits et instants où sa vraie nature serait soudainement sensible, participe de notre incapacité à le cerner. Cette fine écriture de personnage est magnifiée par son interprète, Deniz Celiloglu : comme le reste du casting, il livre une performance introvertie, étincelante de vérité.

Critique de «Les Herbes sèches», rien de plus complexe qu’un simple brin d’herbe
«Les Herbes sèches» © 2024 trigon-film

La nuance et l’instabilité qui caractérisent l’écriture des personnages infusent aussi dans l’évolution de leurs relations, mais surtout dans la manière dont la forme filmique est pensée. Là où la majorité des films dictent, durant leurs premières minutes, une formule, un langage esthétique auquel ils se tiendront jusqu’au générique de fin, Nuri Bilge Ceylan déroge à cette convention : il introduira de nouveaux éléments formels saillants – une voix off retranscrivant les pensées du personnage principal notamment, mais aussi un autre élément bien plus perturbant qu’il serait dommage de révéler ici – ce alors que le long-métrage touche à sa fin. Les personnages, leur univers et la représentation de cet univers sont volatiles, indomptables.

La capacité impressionnante de ce film si bien réalisé à nous immerger dans son univers – par ses images aux contrastes profonds, par ses dialogues passionnants aux transitions et enchaînements naturels, filmés en plans longs – se combine, à mesure que l'on avance et que les éléments susmentionnés sont introduits, à une posture de doute, de mise en crise de ce qui nous est montré. Faire cohabiter la proximité et la distance, l’immersion et le doute, voilà l’un des tours de force d’une œuvre dont on ressort mélancoliques, curieux et interloqués. «Les Herbes sèches» se fige dans l’esprit presque comme un souvenir vécu en dehors d’une salle de cinéma. Résistant à toute représentation binaire du réel, il nous demande tout autant de temps, de patience, pour être compris.

4,5/5 ★

Au cinéma le 3 janvier.

Plus d'informations sur «Les Herbes sèches».

Bande-annonce de «Les Herbes sèches»

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