Interview

Stephen Frears : Cela dit je pense que Hugh Grant est un fantastique acteur.

Interview: Geoffrey Crété

Un an après The Program sur le parcours de Lance Amstrong, Stephen Frears change de registre mais explore une autre personnalité hors normes : Florence Foster Jenkins, une aristocrate américaine du début du XXème siècle qui s’est battue pour avoir une carrière dans la musique lyrique… malgré une voix abominable. Avec Meryl Streep dans le rôle titre, et Hugh Grant de retour dans un premier rôle inhabituel. Rencontre avec l’acteur et le réalisateur anglais.

Stephen Frears :  Cela dit je pense que Hugh Grant est un fantastique acteur.

Comment êtes-vous arrivés sur ce projet ?

Stephen Frears : On m’a envoyé le scénario et j’ai adoré. On m’a aussi envoyé des liens pour écouter des enregistrements de Florence. Ca m’a fait rire, et ça m’a touché. Je me suis dit que c’était une histoire merveilleuse, et écrite dans un style que j'aimais beaucoup. Je leur ai demandé qui ils voyaient pour le rôle, ils m’ont répondu Meryl Streep, et j’ai dit « Ok ».

Hugh Grant : Je connaissais un peu Florence Foster Jenkins. Une cousine à moi m’avait envoyé une cassette… Vous vous souvenez de ça, les cassettes ? (rires) C’était il y a des années, mais je savais qu’elle existait. Et donc, longtemps après, Stephen m’a envoyé le scénario, qui était effectivement drôle et triste. Meryl Streep était déjà attachée au projet et le rôle était plutôt bon de mon côté.

Ce mélange entre le rire et les larmes est illustré par la confrontation entre Florence et son époque, puisque c’est la guerre.

HG : Pour Florence, mal chanter est peut-être pire encore que la guerre. Ce qui rend la chose un peu grotesque. Ils sont repliés sur eux-mêmes.

Derrières les stars Meryl Streep et Hugh Grant, il y a Simon Helberg dans le rôle du pianiste. Ce n’était pas compliqué de trouver un acteur moins connu pour former ce beau trio ?

SF : Alexandre Desplat, le compositeur, m’a dit qu’il fallait un vrai musicien, et pas un acteur qui joue un peu. On m’a conseillé Simon Helberg, que j’ai été rencontré : son visage très expressif m’a plu. Mais avec le tournage qui approchait, on me disait que Florence avait une relation très particulière avec son pianiste, ce qui m’a poussé à me poser des questions. Simon a été voir Meryl, ils ont passé du temps ensemble, et il se trouve qu’ils se sont adorés. Leur relation est donc venue très naturellement.

Hugh, vous parliez récemment de mettre un terme à votre carrière d’acteur. Est-ce que ce rôle d’acteur raté vous a touché pour cette raison ?

HG : J’ai naturellement eu de la sympathie pour lui. Dans mes recherches, j’ai beaucoup appris sur l’homme. C’était un acteur raté, qui n’a eu que de petits rôles, et il n’a pas eu de famille. C’était un individu assez tragique qui a eu la chance de rencontrer cette riche femme. J’étais charmé et amusé par ces facettes, entre l’homme qui maîtrise la situation et l’homme qui n’a rien. Ce que j’aime dans ce personnage, c’est sa complexité. Il y a de l’égoïsme, car il ne serait rien sans Florence. Il la protège férocement pour ses propres intérêts. Mais s’il aime ce rôle de mari dévoué, c’est aussi parce qu’il l’aime. Ces deux personnes hors normes se sont trouvées et s’aident mutuellement.

Ce n’était pas trop intimidant de donner la réplique à une actrice comme Meryl Streep pour la première fois ?

HG : J’ai d’abord rencontré Meryl à un dîner avec les producteurs. Quand on discute avec elle, on n’a pas l’impression de discuter avec une actrice mais avec une professeure. Elle est très cultivée, très intelligente. Très terre-à-terre, très simple. Pas d’entourage, excepté son maquilleur qui travaille avec elle depuis ses débuts. La première fois qu’on a travaillé ensemble, c’était la lecture. Et c’était effrayant. Ça s’est bien passé, et après tout a été très simple. Jouer avec elle permet vraiment de s’améliorer. J’ai essayé de lui faire dire des méchancetés sur d’autres personnes, mais impossible. Elle est trop professionnelle.

Et vous, avez-vous quelques méchancetés à dire sur des acteurs ou réalisateurs avec qui vous avez travaillé ?

HG : J’aimerais vraiment vous dire. La liste est longue. Curieusement j’ai réalisé que souvent, quand on déteste l’autre ou que l’autre nous déteste, voire que c’est réciproque, ça marche bien à l’écran. Ca ressemble à de l’amour. C’est plus sexy.

Votre personnage parle dans le film de la nuance entre un « bon acteur » et un « grand acteur ». Qu’en pensez-vous ?

HG : Je pense que le monde est plein de bons acteurs. Malheureusement c’est un talent assez commun. 99,9% des acteurs professionnels sont bons. Et il y a un infime pourcentage de gens vraiment doués, comme Meryl Steep, Robert de Niro, Robert Duvall, Helen Mirren, Judi Dench, Anthony Hopkins, Gérard Depardieu… Ce ne sont pas juste des acteurs brillants, ce sont aussi des présences intéressantes et fascinantes à l’écran.

SF : Ce sont des exemples assez évidents. Ce n’est pas vraiment intelligent comme avis… (rires) Cela dit je pense que Hugh Grant est un fantastique acteur.

Dans le film, le personnage de Hugh Grant cache les mauvaises critiques à Florence. Est-ce que vous vous protégez vous aussi de ce genre d’attaques ?

HG : J’aimerais bien ! Les gens disent qu’ils ne lisent pas les critiques, mais c’est faux. Je les lis, et ça me fait évidemment quelque chose.

SF : Certains bons amis aiment bien partager les mauvaises critiques aussi… (rires)

A la fin du film, Florence Foster Jenkins se console avec une chose : « Les gens pourront dire que je ne savais pas chanter, mais pas que je ne chantais pas ». Est-ce que c’est le message profond du film : poursuivre ses rêves, aussi absurdes puissent-ils être, à n’importe quel prix ?

SF : Oui, parce qu’on ne sait jamais vraiment si on a raison, si on va réussir, si ça va marcher. On est toujours sur une corde raide.

HG : Je pense que oui, dans la vie, c’est vrai. Woody Allen a dit je crois que 99% du succès repose sur le fait d’être là. C’est vrai : il faut y aller, il faut tenter. Ça peut ne pas marcher, mais il n’y a aucune chance de réussir si on n’essaie pas.

L’histoire de Florence Foster Jenkins a été adaptée en France : Marguerite avec Catherine Frot. Avez-vous vu le film de Xavier Giannoli ?

SF : Je suis un peu gêné mais non. Je veux le voir en revanche.

HG : Même chose. Je veux le voir.

Dernière chose : Hugh, vous avez tourné avec Donald Trump dans une scène de L’Amour sans préavis avec Sandra Bullock. C’était comment ?

HG : Je ne m’en souviens pas trop… Malheureusement, je crois qu’il était plutôt charmant. Mais je ne pensais pas parler à un éventuel futur président des Etats-Unis quand je l’ai rencontré…

5 juillet 2016

Autres interviews

Les Rencontres de Cineman: Pierre Richard pour sa nouvelle comédie “Un profil pour deux”

Les Rencontres de Cineman: Charlie Hunnam, Sienna Miller et James Gray nous parlent de «The Lost City of Z»

Entretien avec Gérard Jugnot (Vidéo)