Interview

Eric Besnard : «Le Goût des merveilles, pour moi, est un film d’amour»

Interview: Geoffrey Crété

«Le Goût des merveilles» est la belle surprise de cette fin d’année. Douce, tendre, drôle, étonnante, cette histoire d’amour inclassable avec Virginie Efira et la révélation Benjamin Lavernhe saura ravir les amateurs de romance, et emporter tous les autres. Rencontre avec le réalisateur Eric Besnard.

Eric Besnard : «Le Goût des merveilles, pour moi, est un film d’amour»

Virginie Efira a dit qu’elle a notamment accepté le rôle car elle sentait chez vous une nécessité de raconter cette histoire, à ce moment de votre vie.

Quand je l’ai rencontrée j’étais en deuil récent de mon père. J’avais une envie de faire un film construit sur l’émotion, sur le sensible. J’ai la chance de vivre du métier de scénariste, donc je peux faire les films que je veux. Quand je dis « les films que je veux », il y a en a plein que j’essaye de faire qui ne se font pas bien sûr... Mais ceux que je fais correspondent à un vrai désir. Et là j’avais besoin de faire un film sur la fragilité, la porosité, la sensibilité. Et c’est ça qu’elle a dû sentir. Que je n’allais pas cachetonner, faire un film pour l’argent. D’ailleurs ce film a été un long combat et elle m’a soutenu pour le faire exister.

Vouloir raconter une histoire d’amour entre une veuve et un garçon atteint du syndrome d’Asperger, ce n’est pas se tirer une balle dans le pied d’un point de vue commercial ?

C’est difficile à vendre en trois lignes, et d’autant plus difficile quand on veut un acteur inconnu. Maintenant, je ne vends pas un film en trois lignes. Et ce n’est pas un film sur Asperger. J’ai pris ce personnage comme on prend un personnage de cinéma muet, qui me sert à souligner mon trait. Je trouve même que ça aurait dû passer mieux car le sujet me semble très universel. La tournée de province le confirme : ça parle aux gens parce que ça parle d’eux-mêmes. Ils se retrouvent tous dans ce personnage et aimeraient être ça. Ils savent qu’ils ont en eux cette capacité d’émerveillement, de vivre dans le présent, de dilatation de l’instant. Sans compter que l’honnêteté du personnage génère de la comédie. Mais c’est avant tout l’idée que c’est lui qui a raison. Il ne se protège pas comme les autres, il ne se cache pas au point d’être hermétique au monde. Parce que ce qu’on gagne en protection, on le perd en sensation de vie.

Que pensez-vous du fait que Le Goût des merveilles soit vendu comme une comédie romantique ?

Plus qu’une comédie romantique, c’est pour moi un film d’amour. Et c’est toujours la même chose : ce qui fait l’essence d’une histoire d’amour c’est l’obstacle. Il peut religieux, racial, social. En l’occurrence, c’est une différence ; de connexion cérébrale, pas un handicap. C’est bien sûr la métaphore de la différence, de l’altérité. Tout ça est universel. Après, mon métier de cinéaste est de créer des personnages universels. Le personnage de Pierre est très fort et séduisant, au point qu’on m’a demandé plusieurs fois s’il y aurait une suite.

Est-ce que vous pensez que Virginie Efira, associée à un cinéma populaire plus classique, pourrait jouer contre le film, qui s’adresse aussi à un autre public ?

On a toujours ce souci oui. Après, ce n’est pas un contre-emploi absolu, ce n’est pas Coluche dans Tchao Pantin. Je pense que les gens qui aiment Virginie Efira n’ont aucune raison de détester ce film, parce ce n’est pas si éloigné. Après dans l’autre sens : est-ce que les gens qui n’aiment pas la comédie romantique vont venir pour elle ? A voir. Pour ce personnage là, je voulais une typologie d’actrice qui n’est pas si fréquente dans le cinéma français, et comme par hasard elle n’est pas française. Je voulais une actrice belle, avec ce que j’appelle le côté Michelle Pfeiffer, rayonnante, mais très ancrée au réel. Qui puisse porter des bottes dans les champs. Virginie a ça. Et il y a l’alchimie aussi, entre elle et Benjamin Lavernhe.

Vous l’avez castée avant Benjamin Lavernhe ?

Oui. Je savais qu’il fallait un nom pour rassurer tout le monde. Mais avec un rôle comme celui de Pierre, on sait qu’on peut avoir des stars. C’est un rôle qui attire. Donc on va contre la pression financière, la logique. J’ai eu la chance que le producteur Michel Seydoux me laisse essayer et rencontrer des tas d’acteurs. Dès le premier tour, j’aurais misé sur Benjamin. J’ai même rencontré quelques gens connus, même quelques noms célèbres à l’étranger.

Votre ambitieux film 600 kilos d’or pur a été un échec en 2009. Quelles en ont été les conséquences pour votre carrière ?

J’ai fait un premier en pensant que j’étais Orson Welles à 25 ans. J’ai très vite vu que je n’étais pas Orson Welles. Je suis resté 9 ans sans tourner. J’étais pas le seul à avoir réalisé que j’étais pas Orson Welles ! Je me suis beaucoup interrogé, et en même temps j’ai trouvé ma place de scénariste. Après 9 ans, avec les projets qui ne se montaient pas, je me suis dit que j’allais tous les arnaquer : d’où Cash, un film d’arnaque, avec Jean Dujardin. Une mise en abime de mon état d’esprit de l’époque. Là, je suis rentré dans la case des gens un peu bankables. On vous propose alors forcément des choses qui vont rapporter de l’argent mais moi je voulais faire un film à la Robert Aldrich, un film B avec des acteurs B, un survival. J’ai appelé quelques amis, comme Clovis Cornillac. Sur mon crédit du moment, j’ai pu faire mon film dans la jungle. Mais je n’avais pas réalisé que la culture du film B n’existe plus du tout, ou alors très exceptionnellement. Cela dit j’ai compris que j’étais metteur en scène sur ce film, avec une équipe dans la jungle. Clovis lui-même m’a dit que j’étais prêt à faire mes films à moi. Ca a été la fin de ma carrière de cinéphile, qui aurait pu continuer avec de la science-fiction et un western. Je me suis demandé ce que je voulais dire, donc j’ai fait un film sur mes parents, Mes héros, qui a été mon film bascule. C’est pour ça que Le Goût des merveilles est si épuré et déshabillé des ficelles de scénariste.

Comment vit-on ce genre d’échec personnellement ?

J’ai souffert non pas tant de l’échec du film, mais du fait qu’il ait été vendu comme autre chose que ce qu’il n’est. Il a été vendu comme un film d’aventure, alors que c’était un petit budget et un film B. Et ça m’a dérangé de me dire que la porte se fermait ; pas pour moi, mais pour ces films. D’un seul coup, j’ai compris que ça allait être de plus en plus compliqué de faire ce genre de film. A cause de l’évolution du marché et de la cinéphilie.

Est-ce que ce n’est pas frustrant de voir son film mal vendu, et se sentir impuissant ?

C’est pire que ça. On commence avec une page blanche. Je prends un stylo, je noircis la page, et c’est un processus de déperdition. Il y a une idée idéale, qu’on perd naturellement dans la réalité de l’écriture. Après, on entre dans le réel avec l’argent, les décors. Une magie toutefois : l’incarnation avec les acteurs. Tout ce qu’on ne prévoit pas c’est magique. Pendant deux ans en gros, je suis le seul patron. Et puis je donne le film à un distributeur, et là on rentre dans autre chose. Que ce soit le choix de l’affiche, la bande-annonce, la date… tout ça m’échappe. L’affiche c’est à chaque fois une guerre par exemple. Je n’ai pas le final cut donc je peux râler, discuter, mais ce n’est pas moi qui choisit. C’est difficile de passer de ce plein pouvoir assumé à cet état où on ne contrôle pas. Sur 600 kilos d’or pur, c’est ce qui s’est passé. Il a été vendu comme un grand film d’aventure, la même année qu’Avatar en plus… Le Goût des merveilles, pour moi, est un film d’amour. Mais commercialement, c’est une comédie romantique. Il y a des cases. Après, il faut espérer que le bouche-à-oreille marche.

10 décembre 2015

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