Babylon Etats-Unis 2021 – 189min.

Critique du film

L’orgie d’un siècle qui découvrait le son

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Damien Chazelle signe une œuvre pantagruélique qui se fait le récit de Hollywood dans les années 20 et d’une industrie qui se métamorphose, non sans drame.

En 1920, Hollywood est un lieu magique qui attire les rêveurs du monde tandis que l’industrie cinématographique amorce doucement sa transition. Lors d’une soirée mondaine endiablée, le jeune Mexicain Manny (Diego Calva), qui était venu livrer un éléphant, rencontre une actrice en devenir du nom de Nellie LaRoy (Margot Robbie). Dans la foule se trouve l’illustre Jack Conrad (Brad Pitt), soûl, et alors que Manny le raccompagne chez lui au petit matin, il devient rapidement son assistant. Nellie, quant à elle, est en passe de décrocher son premier rôle. Bientôt, les protagonistes sont en proie à bien des bouleversements alors que se profilent la gloire et le cinéma parlant.

Damien Chazelle reprend à son compte le faste de la cité mésopotamienne et ouvre «Babylon» dans l’antre d’un manoir sur les hauteurs de la cité des Anges. Le directeur d’un célèbre studio y orchestre une bacchanale où le jazz se mêle à l’hédonisme de ses hôtes, au frivole, à la sueur, à la chair, à la drogue et à l’alcool. Un pachyderme traverse l’orgie, Manny Torres (véritable révélation de ce film sous les traits de Diego Calva), transporte le corps d’une femme qui vient de succomber à une overdose. Et dans cette enivrante ouverture en plan-séquence, Damien Chazelle préface le récit à venir.

Pour conter la volte de l’existence de Manny Torres de 1926 à 1952, et celle de Nellie LaRoy, de cette chanteuse hypnotique du nom de Lady Fay Zhu (Li Jun Li) et du trompettiste de jazz afro-américain Sidney Palmer (Jovan Adepo), le cinéaste de 37 ans, oscarisé pour «La La Land» en 2016, offre trois heures d’un film ivre et féllinien. Un film fleuve, choral, touchant, mené à la baguette, dynamisé par un montage d’une précision folle, des décors et des plateaux époustouflants. Nul cinéaste ne saurait être gargantuesque sans frôler l’indigestion de son public. Alors certain.e.s diront peut-être que «Babylon» atteint la limite du style de l’auteur, or, il signe certainement là son film le plus abouti à ce jour.

Ainsi les romances sont secondaires, et du somptueux qui s’effrite transpire une idée de ce monde en perdition alors que le public, hilare, découvre «Le Chanteur de jazz» en 1927. La carrière de Jack Conrad tombe en décrépitude, une journaliste de Photoplay Magazine (Jean Smart) lui rappelle le cycle de vie des Anges à Hollywood et les studios demandent à Sidney Palmer de s’assombrir le visage pour le public du Sud. «Babylon» est à la fois un hommage à l'âge d'or du cinéma hollywoodien et la satire éveillée d’une industrie misogyne, homophobe et raciste qui, de surcroît, s’est façonnée sous l’influence de la drogue. Boudé outre-Atlantique à sa sortie, «Babylon» questionne le monde du divertissement, ses rouages, ses sbires et ses icônes. À la fois magique, bouleversant et frontal, «Babylon» est taillé dans un marbre fait d’or et d’horreur. Et au milieu de cette farce, Manny avait un rêve.

17.01.2023

4

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Commentaires

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Eric2017

il y a 1 an

Fabuleux ce film. En plus tous les acteurs sont exceptionnels mais avec quand même une mention spéciale pour Margot Robbie. Il y a de tout dans ce film, et sur trois scènes c'est spécialement trash mais nécessaire pour montrer cette déchéance qui a pu régner sur les tournages de cette époque. Mais il y a aussi de la tristesse, de l'amour, de la violence physique et verbale, une pointe d'humour, accompagné le tout de belles images. Bref, ce film raconte la naissance de HOLLYWOOD et le passage du cinéma muet au parlant(clin d'oeil à Chantons sous la pluie).... 3 heures de grand cinéma que l'on ne voit pas passer. Pour moi c'est le premier chef d'oeuvre de 2023. (M-28.01.23)Voir plus


vincenzobino

il y a 1 an

Money’s land
1925 près d’une colline surplombant Los Angeles, Monnie est malgré lui présent à une soirée mondaine où sexe drogues et entourloupes font bon ménage, et va voir sa carrière professionnelle s’envoler. Même contraste pour Nellie chargée de remplacer une actrice pour une scène sous le regard de la star Jack et de toute une clique s’apprêtant à créer Hollywood.
Le voici ce retour sur terre de Damien Chazelle après avoir vu la lune sans en être trop près: il revient à son amour de la mise en musique cinématographique avec le brio déjà connu.
Autant vous prévenir vous allez être mal à l’aise durant les vingt premières minutes sauf si vous êtes dans le même état second que ls plupart des protagonistes. Puis allez ensuite en rire avant de subitement vous retrouver malgré vous témoins directs de cette construction périlleuse : le cinéma grand public et avide de box-office.
La force de cet opus de Chazelle est multiple : à la fois une acerbe satire sur la confection de certains bides arrosée par des comportements douteux et notamment une jubilatoire séquence sur un plan de tournage où nous nous sentons bien à notre place de spectateurs; mais également un procès sur le mal-fondé de l’argent et le rôle que ce dernier jouera dans certains destins.
Comme toujours avec Chazelle, la musicalité qu’elle soit artistique avec des décors et reconstitutions spectaculaires, musicale avec une BO exquise ou vocale avec de fabuleuses interprétations surtout féminines est irréprochable.
Le changement survient sur cette séquence finale où la constatation d’un certain gâchis pris par une certaine tournure cinématographique est éloquente avec bien des extraits courts et un patchwork final marquant.
A recommander et comme déjà lu, les 3 heures passent extrêmement vite.Voir plus


CineFiliK

il y a 1 an

“Il était une fois… à Hollywood”

Lors d’une fête endiablée sur les hauts de Los Angeles, Manny, homme à tout faire d’origine mexicaine, rencontre Nellie LaRoy, vamp survoltée. Tous deux aspirent à conquérir Hollywood.

En 1926, Bel Air n’est qu’un désert caillouteux où rien ne pousse. Pourtant, dominant la colline, un manoir gothique dissimule avec peine des fêtes à faire rougir de plaisir Sodome et Gomorrhe. Sexe, drogue et jazz échauffent les esprits libres et déchaînent les corps. Le cinéma n’est encore qu’à ses balbutiements, mais dans son silence, il crie déjà fort. Star-système, producteurs intéressés et journalistes critiques en font une machine à rêves lumineuse attirant les ambitieux crédules comme des papillons. L’arrivée du son tintera comme une révolution, arrachant les ailes de ces pionniers créatifs et imposant à cet art jusque-là mineur une nouvelle moralité.
Dans La La Land, Damien Chazelle revisitait avec éclat le genre en confirmant que la vie n’avait rien d’une comédie musicale. Il remonte le temps et s’attaque aujourd’hui aux années 20, période charnière où le passage sacralisé du muet au parlant, plus qu’une transition, signifie une rupture. Version trash du grand classique Singin’ in the rain, l’opiniâtre s’y prend à huit reprises pour illustrer toutes les difficultés techniques de l’époque. Mortelle et cocasse, l’ultime prise sera la bonne dans ce qui aurait pu être un court-métrage à part entière. Afin de tenir en haleine son public durant plus de trois heures, il croise et décroise à un rythme effréné les destinées sentimentales de trois étoiles emblématiques : le novice Diego Calva, ange gardien de la cité, Brad Pitt, l’artiste qui voit son aura s’étioler, et Margot Robbie, bacchante charmant les serpents. Déjà réuni chez Quentin Tarantino, le duo rejoue Once upon a time… in Hollywood dans une scène hommage autorisant celle capable de pleurer sur commande à rire de se voir si belle en ce miroir qu’est le grand écran. Enfin dans un montage alterné d’exception, tous trois unissent leur talent pour porter le film au-delà du kitsch affiché juste avant que le soleil ne décide de s’éteindre.
Reste une ambiguïté troublante dans le regard porté ici. Le merveilleux laisse souvent place au scatologique. L’envers du décor n’a certes rien de rose et sous les ors pailletés de ce cirque à ciel ouvert s’avancent pachydermes, crocodiles et crotales de l’industrie globale prêts à écraser ou à mordre les idéalistes. Les bas-fonds de la Mecque du cinéma sont des cercles de l’enfer puant la mort au rat. Ici, l’on danse et chante non plus sous la pluie, mais les deux pieds dans la bouse d’éléphant. Fresque extravagante et provocante, la Babylone de Damien Chazelle mêle l’admiration au dégoût.

(7.5/10)Voir plus

Dernière modification il y a 1 an


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