Article17. April 2024

Alice Diop à Visions du Réel, «L’espace de conception d’un film est pour moi un espace de résistance»

Alice Diop à Visions du Réel, «L’espace de conception d’un film est pour moi un espace de résistance»
© Aurélie Lamachère / Visions du Réel 2024

Salle comble, rétrospective dense et conversations passionnantes: pas de doute, la brillante réalisatrice Alice Diop aura marqué le festival Visions du Réel à Nyon. Se confiant autant sur l’actualité qui la plombe parfois que sur ses moyens d’artiste pour lutter contre les menaces fascisantes qui nous entourent, rencontre avec une cinéaste engagée et captivante!

(Un article de Kilian Junker depuis Visions du Réel 2024)

Si sa carrière a explosé grâce à «Saint Omer» (2023) et à la multitude de prix qui ont entouré cette œuvre de fiction, la jeune réalisatrice Alice Diop n’en était pas à son coup d’essai! Le film apparait dans sa carrière après pas moins de huit courts, moyens et longs-métrages documentaires, qu’elle est venue à Nyon partager avec les festivaliers.

«On ne sera ni de passage, ni un effet de mode», scandait-elle lorsqu’elle recevait son César pour «Saint Omer». Figure de proue d’un renouveau du cinéma français, résolument plus féminin, Alice Diop se veut de tous les combats. Et si par les films, elle confie vouloir «créer un objet qui restera dans le temps», elle ne cède pas à l’hystérie du débat public. Bouleversée par l’histoire récente du jeune Nahel ou encore par ce qui se passe à Gaza, elle nous partage une interrogation qui l’habite toujours : «quel film faire aujourd’hui, dans l’état du monde actuel?». Une question qu’elle laissera en suspens, tout en assénant un unique principe : «ne pas réagir à l’immédiateté que nous impose la violence politique».

«Il n’y a pas de sujet, il y a du temps», voilà comment elle parvient à insuffler toute l’humanité traversant ses documentaires depuis «Le Tour du monde» en 2005. Pourtant, s’il y a bien un tournage qui semble avoir eu un effet crucial sur toute sa carrière, c’est celui du magistral «La Permanence». Un film qui lui a permis de comprendre sa place face aux éclaboussures de violence qu’elle a rencontrées durant ces mois passés aux côtés des exilés : «Mon rôle, c'est de témoigner de la souffrance (...) de rendre compte le plus précisément possible ce que j’y ai vu».

Une précision quasi-scientifique qui trahit son parcours universitaire. Formée en histoire, puis diplômée en sociologie visuelle, elle brandit volontiers ses références pointues, à commencer par Bourdieu et son concept de «violence symbolique» qui semble irriguer toute son œuvre. «Nous avons besoin de nous reformuler, de nous redéfinir, de nous affranchir de la façon dont le corps noir a été configuré et raconté», lâche-t-elle. Un cinéma du «nous», qui évoque la double minorité à laquelle elle appartient au sein d’une industrie toujours très misogyne et malheureusement encore fort peu accessible aux personnes racisées. Un «Nous» également en titre de film en 2022, lorsque brillamment, elle ausculte dans «une revisitation tranquille d’un roman politique» les différentes couches sociales d’un Paris clivé dans un documentaire aussi ironique que cinglant.

Et si Alice Diop colle à l’actualité, ses films n’en sont pas moins universels. Elle a présenté tout récemment l’un de ses premiers documentaires évoquant le théâtre, «La Mort de Danton» en 2011, au grand acteur français Adama Diop, ému aux larmes face au long-métrage de la réalisatrice. Une réaction qui a touché la cinéaste : «J’étais assez bouleversée que ce film, quinze ans après, continue à dire quelque chose du théâtre, de la nécessité de s’affranchir de la violence du regard de l’autre». Cinéma intemporel et lutte sisyphéenne contre de vieux spectres, voilà deux motifs qui semblent constamment hanter la filmographie d’Alice Diop.

De là à s’enfermer dans une case, elle n’en croit rien et rassure volontiers son public : «je ne m’intéresse qu’à ce que je dois faire au moment où je le fais», et d’ajouter, «je me soucie très peu de ce que les gens attendent de moi». Et si elle ne nous donne pas plus de précisions quant à ses futurs projets, elle se contente d’affirmer : «ce n’est pas près de s’arrêter». Et on l’espère bien!

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