News6. September 2023

Teinté de politique, le cinéma iranien se fait entendre

Teinté de politique, le cinéma iranien se fait entendre
© trigon-film

Réalisé par Mani Haghighi, le film «Subtraction» sera à découvrir sur nos écrans dès ce mercredi 6 septembre 2023. L’occasion de nous pencher sur l’histoire et l’actualité du cinéma iranien avec un tour d’horizon non exhaustif.

(Un article de Marine Guillain)

À Téhéran, un couple rencontre avec stupéfaction un autre couple qui est leur portrait craché. À partir de ce jeu de miroirs et de substitutions, le réalisateur iranien Mani Haghighi livre avec «Subtraction» un thriller envoûtant, mêlé de réalisme social. Tournée en Iran, l’actrice principale Taraneh Alidoosti ne se départissant jamais de son voile, l'oeuvre ne semble pas faire partie de ces films qui défient le régime et qui pourraient faire des vagues. Pourtant.

En octobre dernier, alors que Mani Haghighi devait se rendre à Londres pour présenter «Subtraction», après sa première mondiale à Toronto, il s’est vu confisquer son passeport sans explication à l'aéroport de Téhéran et n’a pas pu quitter le pays. Deux mois après, son actrice Taraneh Alidoosti (connue pour ses multiples collaborations avec le cinéaste Asghar Farhadi) a été emprisonnée par le gouvernement pour avoir soutenu les manifestations en Iran déclenchées par la mort de Mahsa Amini.

Ainsi, cinéma et politique semblent quasi indissociables en Iran, pays qui produit environ 120 films par année. À l’ouverture de la première salle obscure en 1904, ce loisir, comme à peu près tous les autres, était réservé aux hommes. C’est en 1928 que des salles pour les femmes, puis mixtes, ont vu le jour. Des années plus tard, la révolution iranienne de 1979 a marqué un tournant important dans l’histoire du 7e art, avec de nouvelles contraintes qui pèsent sur les réalisateurs et qui vont influencer leur cinéma tout au long des années 1980. À partir des années 1990, naît une reconnaissance à l’international qui ne va qu’aller en grandissant.

Les chouchous des festivals

«Une séparation», d’Asghar Farhadi © trigon-film

Consécration internationale en 1997: «Le Goût de la cerise», d'Abbas Kiarostami, obtient la Palme d'or au Festival de Cannes (le film est disponible sur la plateforme Mubi, au même titre que d’autres œuvres de la filmographie du cinéaste poète, décédé en 2016).

Depuis, des films iraniens sont régulièrement récompensés dans les grands festivals internationaux. Ce fut le cas pour «Le Cercle», de Jafar Panahi (Lion d'or à Venise en 2000), pour «Le Tableau noir» et «À cinq heures de l'après-midi», de la jeune Samira Makhmalbaf, deux fois Prix du jury à Cannes en 2000 et en 2003, ou encore pour «Une séparation», d’Asghar Farhadi (Ours d'or à Berlin en 2011). Plus récemment, «Le diable n’existe pas» de Mohammad Rasoulof a aussi glané l’Ours d’Or en 2020, tandis que «Critical Zone», d’Ali Ahmadzadeh, vient de remporter le Léopard d’or au dernier Festival de Locarno.

Zar Amir Ebrahimi et Golshifteh Farahani

Zar Amir Ebrahimi dans «Les Nuits de Mashhad» © 2023 Xenix Filmdistribution GmbH

Perçues comme des ambassadrices de la lutte des femmes iraniennes, les deux actrices exilées en France et amies de longue date ont fait la Une de Télérama l’automne dernier, en pleine révolte pour la liberté. Star dans son pays alors qu’elle n’était qu’adolescente, Golshifteh Farahani est la première Iranienne à avoir été au casting d’un film hollywoodien: «Mensonges d'État», de Ridley Scott (2008). Elle a été contrainte à l’exil à la sortie du film, dans lequel elle joue sans voile. Depuis, elle alterne entre grosses productions hollywoodiennes («Pirates des Caraïbes», «Tyler Rake») et cinéma européen («Paterson», «Une comédie romantique»). Elle sera prochainement à l’affiche de «Reading Lolita in Tehran», avec Zar Amir Ebrahimi.

Star du petit écran dans son pays, cette dernière a dû fuir en 2008, à la veille de sa condamnation à dix ans d’interdiction de toute activité artistique, et à une peine de 90 coups de fouet, qui faisait suite à la diffusion malveillante d’une vidéo intime d’elle sur internet. Mais l’actrice a vu sa côte grimper en flèche à l’international depuis son Prix d’interprétation au Festival de Cannes 2022 pour son rôle de journaliste en lutte contre l’oppression religieuse et le sexisme dans «Les Nuits de Mashhad», d’Ali Abbasi.

«J’ai une approche artistique du cinéma et je n’ai pas fait tout ça pour parler de politique tous les jours, nous avait confié Zar Amir Ebrahimi lors de la Berlinale en février dernier. Je me sens fatiguée, mais en même temps, je me dis qu'il faut profiter de ce moment où ma voix peut être entendue. Les célébrités ont une chance plus grande que les autres d'être vus et entendus, alors j'essaie d'être efficace.»

Spécialistes pour défier la censure

Jafar Panahi dans «Taxi Téhéran» © Filmcoopi Zürich AG

La censure existe en Iran depuis à peu près aussi longtemps que son cinéma. La première censure officielle remonte à 1930 : une ordonnance de Téhéran impose qu'un fonctionnaire de la ville visionne les films avant qu'ils ne soient diffusés. Après la révolution iranienne, tous les permis de distribution accordés aux films nationaux et étrangers sont annulés et soumis à un réexamen : seuls 10% des métrages passent l’épreuve. Depuis quelques années, les autorités iraniennes jouent au chat et à la souris avec quelques cinéastes nationaux qui ne rentrent pas dans le rang. En tête de liste, Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof.

Condamné en 2010 par la justice iranienne à 6 ans de prison ferme pour propagande contre le régime, Jafar Panahi a l’interdiction de quitter son pays. Il est placé en liberté conditionnelle, puis mis en prison le 11 juillet 2022. Il est libéré le 3 février 2023, après une grève de la faim et de la soif. Jafar Panahi tourne désormais ses docu-fictions clandestinement, souvent avec un téléphone depuis l’intérieur de sa voiture – procédé qui constitue la totalité du film «Taxi Téhéran», Ours d’or à Berlin en 2015.

Mohammad Rasoulof a été condamné à 1 an de prison en 2010, puis à nouveau en 2019, accusé d'activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime à la suite de la sortie de son film «Un homme intègre». Dans «Le diable n’existe pas» (Ours d’Or en 2020), tourné clandestinement en Iran, le cinéaste dénonce la peine de mort à travers quatre récits bouleversants. Il est à nouveau arrêté en juillet 2022.

Tout juste auréolé du Léopard d’or à Locarno, Ali Ahmadzadeh a aussi tourné «Critical Zone» dans la clandestinité, avec une distribution non professionnelle, déjouant ainsi les autorités. Le cinéaste a l’interdiction de quitter l’Iran et de tourner des films dans son pays.

Les coups de cœur de la rédaction

Pour conclure, voici une courte liste de films qui nous ont particulièrement touchés, à rattraper à l’occasion, si le cœur vous en dit.

«Hors jeu»

Jafar Panahi (2006)

Fan de football comme beaucoup d’autres Iraniennes, une adolescente se déguise en garçon afin de pouvoir pénétrer dans le stade qui lui est interdit; Repérée, elle va tout tenter pour pouvoir assister au match. Prenant aux tripes, avec un joli trait d’humour.

«Raving Iran»

Susanne Regina Meure (2016)

Il ne s’agit pas d’un film proprement iranien, puisqu’il est réalisé par une cinéaste suisse. Susanne Regina Meure («Girl Gang») y suit deux DJ iraniens, Anoosh et Arash, qui tentent d'organiser des raves et de faire de la musique électronique sans se faire prendre par le gouvernement. Original.

«Malaria»

Parviz Shahbazi (2016)

Hanna s’enfuit de chez elle avec son petit ami Murry, direction la capitale. Entre amour, fête, musique et rencontres, «Malaria» est une ode fiévreuse à la vivacité de la jeunesse iranienne, filmée dans les rues de Téhéran. Incandescent.

«Khook»

Mani Haghighi (2018)

Avant «Subtraction», Mani Haghighi a réalisé «Khook» : un tueur psychopathe sévit sur le tournage d’un film, assassinant les gens les une après les autres, mais ne touchant pas au réalisateur. Jaloux, ce dernier se sent ignoré. Absurde et hilarant.

«La Sirène»

Sepideh Farsi (2023)

Le cinéma d’animation n’est pas en reste en Iran, avec par exemple «Persepolis» (2007), adaptation de l’excellent roman graphique de Marjane Satrapi, ou «Téhéran tabou» (2017), portrait d’une société schizophrène dans laquelle corruption, prostitution et drogue coexistent avec les interdits religieux. Dernière pépite en date: «La Sirène», sélectionné à la Berlinale puis à Annecy et qui sortira sur les écrans romands en janvier 2024. La cinéaste dissidente Sepideh Farsi y raconte un épisode de la guerre Iran-Irak à travers le regard d’Omid, 14 ans, qui va tenter de sauver les habitants de sa ville de leurs assiégeants. D’une beauté bouleversante.

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