Critique25. November 2022

«Pinocchio» selon Guillermo del Toro - Une gueule de bois comme on en redemande

«Pinocchio» selon Guillermo del Toro - Une gueule de bois comme on en redemande
© Elite Film AG

Après avoir proposé sa variante du film noir avec «Nightmare Alley» (2022) en début d’année, Guillermo del Toro est déjà de retour avec son premier film d’animation, réinventant le conte bien connu de Carlo Collodi.

(Une critique de Damien Brodard)

Alors que le vieux Geppetto (David Bradley) se lamente sur la disparition de son fils, il décide de confectionner un pantin de bois à son image. Se voyant miraculeusement insuffler de la vie, la marionnette (Gregory Mann) se réveille et se met alors à se comporter comme un enfant. Entre les conseils de Sébastien J. Cricket (Ewan McGregor) et les mauvaises intentions du comte Volpe (Christoph Waltz), le petit espiègle va se confronter aux joies et périls de la vie humaine.

Ce n’est pas parce que l’association entre un réalisateur et un récit a priori taillé pour lui semble évidente sur le papier qu’elle se conclue automatiquement par un mariage heureux : on se souvient notamment de la version fastidieuse de «Alice au pays des merveilles» (2010) par Tim Burton. De plus, ce n’est pas comme si le petit pantin de bois s’était fait rare ces derniers temps, entre le beau conte de Matteo Garrone en 2020 et le récent fac-similé de Disney par Robert Zemeckis en 2022, si bien qu’on se demande ce que l’oscarisé Guillermo del Toro peut bien apporter à cette histoire déjà maintes fois adaptée. Et pourtant, les premières images ont à peine le temps de défiler à l’écran que le cinéaste mexicain nous entraîne dans une œuvre tout bonnement fantastique!

Épaulé par son coréalisateur Mark Gustafson, del Toro est parvenu à sculpter cette nouvelle adaptation à son image et selon ses thèmes de prédilection. En grand amoureux des monstres et des marginaux, il fait de Pinocchio sa petite créature de Frankenstein, mise à l’écart et méprisée par les humains pour sa différence, mais qui est en mesure grâce à celle-ci de révéler le visage des véritables chimères. Une thématique chère à l’auteur qui prend également la liberté de déplacer l’intrigue dans l’Italie fasciste de la fin des années 1930, un espace-temps avec lequel il peut habilement donner une tout autre dimension à la métaphore de la marionnette et des mensonges.

Après avoir évoqué l’Espagne franquiste pour dénoncer la violence du monde dans «Le Labyrinthe de Pan» (2006), del Toro confronte ici la désobéissance innocente d’un enfant à la discipline du régime autoritaire et dévoile de ce fait les tireurs de ficelles, et bien sûr les véritables pantins. En somme, si le récit ne bouleverse globalement pas sa ligne directrice par rapport à ses aînés, son changement de contexte s’avère tout à fait original et pertinent, en plus de porter indéniablement la patte de son auteur.

«Pinocchio» selon Guillermo del Toro - Une gueule de bois comme on en redemande
© Elite Film AG

Guillermo del Toro, c’est aussi un goût prononcé pour les directions artistiques atypiques et un sens aigu de la narration visuelle. Réalisé en animation stop-motion, c’est-à-dire avec des figurines filmées image par image, ce Pinocchio gagne une matérialité qui vient renforcer la tangibilité de ses personnages et environnements, de l’humidité d’une larme à une main dans le sable, en passant par deux marionnettes qui s’entrechoquent. Les sublimes jeux de lumières colorées viennent mettre en valeur les dégaines parfois folles, mais toujours réussies des figurines évoluant sur des fonds envoûtants rappelant certaines huiles sur toile. Pour ce qui est de l’animation pure, l’aisance avec laquelle tous ces personnages se meuvent force le respect, tant cela représente un travail d’orfèvre, qui plus est dans des plans parfois d’une complexité impressionnante, dont seul leur réalisateur a le secret.

Un dernier mot sur la distribution vocale cinq étoiles qui voit défiler tour à tour, entre autres, les excellents Ewan McGregor, David Bradley ou Tilda Swinton, derniers ingrédients indispensables pour offrir vie et personnalité à un long-métrage déjà impeccable visuellement. On notera la belle prestation du jeune Gregory Mann dans le rôle-titre du pantin de bois, aussi attendrissant et drôle qu’il peut être agaçant lorsque la situation l’exige, interprétant d’une voix d’ange les compositions de l’inaltérable Alexandre Desplat. Si le film peut certes accuser quelques légères longueurs et son univers gentiment macabre impressionner les tout jeunes, il n’en ravira pas moins petits et grands qui trouveront tous un sens de lecture à leur portée. Tout comme Pinocchio se voit insuffler la vie en lui, Guillermo del Toro a doté son film d’animation d’une pièce maîtresse qui se fait de plus en plus rare : une âme.

4,5/5 ★

Depuis le 23 novembre au cinéma.

Plus d'informations sur «Guillermo del Toro's Pinocchio»

Bande-annonce

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