Interview15. März 2018

La Yougoslavie de Nicolas Wagnières - «Hotel Jugoslavija»

La Yougoslavie de Nicolas Wagnières - «Hotel Jugoslavija»
© C-Side Productions

Pour son premier long-métrage documentaire, Nicolas Wagnières compose une fresque sur l’histoire de la Yougoslavie, la sienne, celle qu’il lui reste. Au travers du célèbre «Hotel Jugoslavija» à Belgrade, c’est un voyage jalonné de souvenirs et de rencontres. Le réalisateur d’origine yougoslave nous conte avec pudeur un socialisme déchu, ce «royaume perdu», comme il l’appelle.

(Interview réalisée le 21 février 2018 lors de la Berlinale)

Cineman - Nicolas Wagnières, c’est un film profondément teinté de vos souvenirs d’enfance. Comment expliquez-vous cette fascination justement pour l’enfance et ce besoin d’y replonger, des années plus tard, une fois l’âge adulte arrivé?

NW - Je pense d’abord que cela peut varier selon les histoires concrètes et les parcours. En ce qui me concerne, on parle d’un pays qui a disparu et d’une histoire assez tragique. Nos parents ne nous transmettent jamais l’entier, ou disons que l’on reçoit quelque chose des parents, quand ça se passe bien disons (rires). Quelque chose qui nous permet de nous construire une identité, et puis il arrive un certain âge où cette identité doit se parfaire par notre propre histoire. Souvent cela doit passer par un regard un peu rétrospectif sur la famille ou sur soi. Cela passe aussi par aller rechercher des racines ailleurs, pas nécessairement comprendre mais refaire un petit chemin.

L’enfance est un lieu sans naïveté exagérée...– Nicolas Wagnières

Je voulais refaire ma petite histoire de la Yougoslavie. Non pas pour mieux comprendre la géopolitique mondiale, mais plus à un niveau personnel et émotionnel, pour me resituer dans le présent. Et puis il y a ce que j’appelle au début du film cette idée du “royaume perdu”. Je trouve ça assez joli. L’enfance est un lieu sans naïveté exagérée. C’est un moment où on ne fait pas la guerre mais on joue à la guerre. Les frontières sont poreuses et en un sens, la vie y est plus facile.

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Cineman - Je crois savoir qu’il y a eu d’abord un «Hotel Jugoslavija 1.0» avant ce film, comment s’est passé tout le travail d’archive et de recherche historique?

NW - Il a démarré un peu inconsciemment. J’avais déjà tourné une scène de mon film de diplôme à l'Hôtel Jugoslavija, un film de fiction en 2005 pour l’école des Beaux-arts de Genève. C’est là que j’ai appris qu’il allait fermer et à partir de là je me suis dit: avant que ça ne soit détruit, avant que les privatisations n’aillent vraiment au bout, il faut archiver, il faut arrêter cet objet, il faut filmer. C’était un besoin, un peu inconscient. Ensuite j’ai fait un court-métrage (Hotel Jugoslavija 1.0)[NDLR]. Le processus d’écriture a été assez long parce qu’à l’arrivée, quand on a un projet comme ça il y a un script de 40 pages à lire devant des commissions. Certains y arrivent facilement, pour moi ça a été plus difficile (rires). Bref! Comme ça a pris du temps, je découvrais des choses au fur et à mesure. Après j’avais deux sources principales à Belgrade. Notamment les “Filmske novosti“, qui sont les nouvelles filmées de l'époque. C'est de la pellicule, j'y ai passé trois jours, et puis la télévision serbe, aussi.

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Quoi de plus beau que des gens qui construisent un pays ensemble...– Nicolas Wagnières

Depuis le début, une chose était claire pour moi en parlant avec les gens, et surtout dans un pays socialiste où l’idée de la représentation est extrêmement forte: ce bâtiment avait une image et portait l’idée de la propagande. Je me disais cet hôtel a été utilisé sous plein de formes différentes, pour raconter la propagande et tous ces films qui sont tournés depuis la privatisation. L'hôtel a été fermé et pour le rentabiliser, il a été loué comme décor de film, du clip vidéo à de la pub pour de la lessive, jusqu’à Kevin Costner. Il y avait tout ça et aussi ce qui est lié à ma mère. Et puis quand je vois ces images aujourd’hui, moi-même je trouve ça assez fou. Ça semble tellement lointain et puis quand j’y pense, je me dis quoi de plus beau que des gens qui construisent un pays ensemble.

Cineman - Comment se passent les rencontres pour les interviews. Comment êtes-vous reçu lorsque vous approchez cette histoire avec disons, une “curiosité cinématographique”?

NW - Encore une fois, j’y ai passé beaucoup de temps et je suis devenu presque de la famille. Il n’y a vraiment qu’une interview que je n’ai pas utilisé qui était avec le chef ingénieur de l’hôtel. C'était la première personne rencontrée en 2005, celui qui m’a ouvert les portes pour aller tourner mon film de diplôme. Avec lui quand j’arrivais, c’était “Hey Nicolas!”, avec de l’eau de vie de prune à 9h du matin (rires). Vraiment culturellement et socialement ça se passe autrement qu’en Suisse. Je crois que très vite les gens comprenaient que j’étais dans un travail de mémoire qui les touchait et finalement qui les concernait aussi.

Les gens comprenaient que j’étais dans un travail de mémoire...– Nicolas Wagnières

Mais il y avait aussi des anciens employés qui étaient tellement touchés par la disparition de ce bâtiment et son histoire qu’ils n'arrivaient pas à me parler. Certains n’arrivaient pas à comprendre que je ne veuille pas faire un truc critique sur la Yougoslavie. Il y en a qui pensaient aussi que j’étais un larbin des investisseurs, que je faisais de la communication pour un nouveau projet. Mais j’ai été extrêmement bien reçu et même par le dernier directeur, qui a ce rôle ambigu d’ailleurs, que peut-être on ne comprend pas complètement, c’est peut-être la seule chose...

Cineman - Comment ça?

NW - Oh il a ce rôle ambigu parce qu'on le voit dans les archives. En réalité il était ministre du tourisme sous Milošević. Il faisait donc partie de ce gouvernement responsable et criminel. Et puis quand le gouvernement change, on change de chemise et puis on est toujours là, sur un autre poste.

Cineman - Mais il ne s’en lave pas les mains non plus.

NW - Non non, c’est sincère exactement. Mais je n’étais pas là pour lui demander des noms ou savoir qui s'était mis des millions dans la poche. Ce n’était pas mon propos. Donc à partir de là ils étaient en confiance, et ils avaient aussi envie. Tous les gens sont touchés par l’histoire de ce pays et tout le monde regrette quelque chose. Sans dire que c’était mieux avant, y’a un regret d’un avant, qui était plus paisible disons. En revanche, les personnes qui m’ont clairement dit non sont celles qui travaillent actuellement à l’hôtel. Les investisseurs d’aujourd’hui n’étaient pas intéressés.

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Cineman - Et comment est venu votre système de narration? Il y a quelque chose de très écrit, de très littéraire.

NW - Dès qu’on a eu le sentiment d’une structure qui allait pouvoir fonctionner pour le film, moi en parallèle j’ai commencé à dire qu’il fallait de la voix-off. Et puis il y avait toujours cette question, est-ce que l’on rentre dans le film avec l’Histoire, ou celle de ma mère? Finalement, on s’est dit que c’était moi l’instigateur, c’est moi qui porte le film, il faut que ce soit moi qui rentre. Et je suis arrivé à cette idée de l’énumération. C’est drôle parce qu’hier au Q&A on m’a parlé de “L'Année dernière à Marienbad” ce film d’Alain Resnais. C’est le nouveau roman, ce mélange avec Alain Robbe-Grillet, entre nouveau roman et cinéma. Et ce sont des choses que pendant mes études j’ai étudié et sur lesquelles j’avais un peu travaillé. Michel Butor aussi. Donc effectivement peut-être l’idée du monologue intérieur entre l’écriture et la pensée... Ce n’était pas vraiment conscient mais je pense qu’il y a quelque chose qui tire vers là.

Hotel Jugoslavija : en salle dès le 21 mars à Carouge et Lausanne. À partir du 16 Mai à Neuchâtel, La-Chaux-de-Fonds et Bienne (autres villes à confirmer).

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