Critique27. Juni 2023

Critique d'«Eldorado : Le cabaret honni des nazis» sur Netflix, quand Berlin était queer dans l’ombre du troisième Reich

Critique d'«Eldorado : Le cabaret honni des nazis» sur Netflix, quand Berlin était queer dans l’ombre du troisième Reich
© Netflix

Pour terminer ce mois des fiertés LGBTQ+, Netflix propose un voyage dans le temps afin de découvrir la vie de personnes queer à Berlin à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Décryptage !

Des années 20 jusqu’au début des années 30, l’Eldorado est un cabaret berlinois, petit espace de liberté d’une communauté cachée, mais dynamique. Ici, loin des interdits extérieurs, les pulsions se libèrent et les désirs s’assouvissent. Les spectacles burlesques s’enchaînent devant un public composite et admiratif. Mais si le monde paraît plus ouvert entre les murs de l’établissement, dehors, le paysage totalitaire de l’Allemagne nazie trouve ses marques sous l’impulsion d’Adolf Hilter. Et, doucement, l’émancipation tant espérée laisse place à la peur.

La république de Weimar, qui a gouverné l’Allemagne de 1919 à 1933, a connu son lot de tensions, de crises économiques et de conflits internes. Pourtant, c’est sous son régime que le plaisir de vivre berlinois commence à enflammer l’imagination internationale et que la ville se retrouve fleurie d’espaces propres à la communauté queer. Dans son recueil «Berlin Stories», l’écrivain américano-britannique Christopher Isherwood coucha ainsi sur le papier une version fictionnelle de sa propre expérience. Sa nouvelle «Adieu à Berlin» servit d’inspiration à la comédie musicale culte «Cabaret», immortalisée à l’écran par Bob Fosse en 1972 avec une Liza Minnelli hypnotisante. L’actrice y incarne Sally Bowles, chanteuse au Kit Kat Club, un établissement bien particulier, qui n’est pas sans rappeler l’Eldorado.

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Et avec «Eldorado : Le cabaret honni des nazis», le réalisateur Benjamin Cantu tente d’offrir un portrait plus vrai que nature d’un lieu devenu légendaire. Lui-même habitant de la capitale allemande, il avait prouvé son talent avec «La Clé des champs», présenté dans la catégorie Génération au Festival du film de Berlin 2011. Pour son documentaire, il s’entoure aujourd’hui d’historien.nes, d’activistes et de spécialistes en science politique qui nous expliquent, aussi précisément que possible, en anglais ou en allemand, l’évolution politique et idéologique à travers les vies de figures de l’époque, illustration du traitement des personnes queer.

Le public découvre alors Charlotte Charlaque, l’une des premières femmes trans opérée, Gottfried von Cramm, célèbre joueur de tennis bisexuel, ou encore Ernst Röhm, homosexuel et proche d’Hitler, assassiné lors de la nuit des longs couteaux. Les entretiens avec les spécialistes sont entrecoupés de saynètes muettes, agréable mise en images des événements. Si le titre évocateur laissait supposer une plongée dans le monde de la nuit queer de l’entre guerre, le long-métrage s’éloigne rapidement des décors bigarrés de l’Eldorado pour se concentrer sur ces existences alternatives dont les besoins de liberté se retrouvent doucement brisés par la montée au pouvoir du nazisme. Une certaine frustration peut se faire sentir devant cette légère réorientation. Mais la vie de ces gens fascine, intrigue, touche.

Devant les tentatives passées du troisième Reich d'effacer la culture queer, le documentaire est alors d’autant plus important. Au détour de l’histoire, nous rencontrons Magnus Hirschfeld, sexologue de génie à l’origine du premier mouvement des droits homosexuels ou découvrons le paragraphe 175 contre l’homosexualité masculine, mis en place par les nazis, officiellement abrogé en 1994 et parfaitement expliqué en 2022 dans le long-métrage «Grosse Freiheit» avec Franz Rogowski. Si tout cela paraît fort lointain, l’histoire n’en reste pas moins tristement actuelle. Car les libertés acquises peuvent disparaitre à tout moment, et «Eldorado : Le cabaret honni des nazis» de Benjamin Cantu s’en fait l’exemple parfait.

3,5/5 ★

«Eldorado : Le cabaret honni des nazis» est à découvrir sur Netflix dès le 28 juin.

Bande-annonce d'«Eldorado : Le cabaret honni des nazis»

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