Critique19. August 2021

«Berlin Alexanderplatz» - Dans la solitude de la lumière des néons

«Berlin Alexanderplatz» - Dans la solitude de la lumière des néons
© Wolfgang Ennenbach_Sommerhaus Filmproduktion

Pour cette nouvelle adaptation du roman d’Alfred Döblin, le réalisateur Burhan Qurbani ose le changement et transpose l’histoire dans notre monde moderne. Avec onze nominations au prix du cinéma allemand et présenté en Compétition à Berlin en 2020, «Berlin Alexanderplatz» était attendu au tournant. Loin d’être comparable à l’œuvre de référence, le film se construit pourtant une esthétique et une identité propres.

(Critique de Cornelis Hähnel. Adapté de l’allemand par Maxime Maynard)

Au revoir Franz Bieberkopf ; notre héros devient Francis (Welket Bungué), jeune réfugié africain. Il voulait être un homme honnête, mais ne possède ni papiers ni permis de travail. Employé illégalement sur un chantier, il rencontre un jour Rheinhold (Albrecht Schuch), petit criminel ambitieux. Avec lui apparait la promesse d’argent facile et rapide. Pour cela, il devra vendre de la drogue dans un des parcs de la ville. S’il résiste d’abord à l’offre, Francis se laisse convaincre. Et lorsque l’amour se présente à lui sous les traits de Mieze (Jella Haase), toute sa vie semble s’améliorer. Du moins, jusqu’à ce Reinhold le pousse plus profondément dans les abîmes de la ville.

Welket Bungué enfile le costume d’un Francis poignant. Conscient de son destin tragique, le spectateur ne peut s’empêcher d’encourager sa foi inébranlable en ses contemporains. Il émane de lui une humanité pure. Mais c’est le Reinhold sournoisement psychotique d’Albrecht Schuch qui se démarque. Sa voix de fausset, son rire démentiel, son physique contracté : tout son être aurait pu tomber dans une caricature grotesque. Mais il dose parfaitement ses extravagances. Il fascine. Son jeu poussé s’intègre parfaitement dans l’artificialité de ces décors urbains.

Si le film intrigue, il perd la sauvagerie urbaine propre à l’ouvrage d’Alfred Döblin.– Cornelis Hähnel

Paru en 1929, le roman original s’est depuis longtemps imposé comme un ouvrage de référence de la littérature allemande du 20ᵉ siècle. En transportant l’histoire à l’écran, Burhan Qurbani utilise toute la puissance visuelle du cinéma pour filmer la chute de Francis. Les plans sont composés avec soin dans un Berlin aussi sombre qu’artificiel. La lueur des néons éclaire ce monde où tournoient les fausses promesses. La beauté de l’artificiel se superpose à la saleté de la réalité.

© Wolfgang Ennenbach_Sommerhaus Filmproduktion

«Berlin Alexanderplatz» est beau. Les images, sa distribution, tout est esthétiquement étudié et travaillé. Pourtant, le film manque d’un petit quelque chose pour rendre vraiment justice à l’œuvre originale : un brin d’innovation. L’œuvre de Döblin avait, à l’époque, fait sensation. Elle était nouvelle et révolutionnaire. Elle nous introduisait à la complexité de la ville et de ses âmes errantes, rugissant en chœur dans le chaos de la modernité. Le film veut reprendre cela, mais se perd dans un décor trop réfléchi et organisé, enlevant une certaine dureté, une certaine rudesse, à l’urbanisme berlinois.

Burhan Qurbani utilise toute la puissance visuelle du cinéma pour filmer la chute de Francis.– Cornelis Hähnel

Prés de cent ans après le poids lourd littéraire qu’est l’œuvre originale, Burhan Qurbani nous offre une adaptation au style narratif linéaire et traditionnel. «Berlin Alexanderplatz» se prétend moderne, mais ne réussit pas pour autant à se démarquer des adaptations passées (rappelons notamment la série de Rainer Werner Fassbinder pour la télévision dans les années 80). Si le film intrigue, il perd la sauvagerie urbaine propre à l’ouvrage d’Alfred Döblin. Mais son esthétique et les performances de sa distribution marquent, se démarquent et, au bout du compte, valent le détour.

3,5/5 ★

Depuis le 18 août au cinéma. Plus d'informations sur «Berlin Alexanderplatz».

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