CH.FILM

L' Ami, portrait de Mix et Remix Suisse 2022 – 80min.

Critique du film

Lettre d’amitié à un génie ordinaire

Critique du film: Laurine Chiarini

En 2016 décédait Philippe Becquelin, alias Mix & Remix, dessinateur de presse bien connu des Romands. Son ami Frédéric Pajak, réalisateur du film, lui rend hommage sous forme d’un documentaire mêlant images d’archives et témoignages.

Un gros nez, trois coups de crayon et un trait de génie : il n’en fallait pas plus au dessinateur Philippe Becquelin, connu des lecteurs sous le pseudonyme de Mix & Remix, pour saisir avec justesse et un humour au vitriol l’essence de l’actualité et les travers de ceux qui la composaient. Guerre, religion ou suicide assisté, aucun sujet ne lui échappait. Aimé de tous, lecteurs autant que collègues, fait rare dans la profession, Mix ne visait personne en particulier, mais l’espèce humaine dans son ensemble. Si ses personnages aux gros nez sont reconnaissables entre mille pour quiconque a eu un jour entre les mains un exemplaire d’un des journaux où il officiait, peu connaissent en revanche l’homme qu’il était dans le privé.

L’idée d’un documentaire n’est pas nouvelle : du vivant de Philippe Becquelin, Frédéric Pajak avait déjà pour ambition de tourner un court métrage qui aurait mis en lumière le processus créatif du dessinateur. Mix avait été d’accord, mais le projet avait fini par prendre une tout autre forme. Mêlant images d’archives, témoignages et anecdotes personnelles, le film, biographie d’un ami par un autre, dévoile par petites touches la personne qui se cachait derrière le personnage. Décrit comme trouillard à l’unanimité par son entourage, Mix avait pourtant le courage de n’avoir aucune limite dans les sujets qu’il abordait, là où d’autres se seraient auto-censurés. Et s’il a fini par atteindre la notoriété qu’on lui connaît, le film s’engouffre dans les méandres d’un parcours professionnel parfois sinueux.

À l’origine, Philippe Pajak craignait que les personnages de Mix ne tombent dans l’oubli : filmer son ami, interviewer une trentaine de proches, puis orchestrer le tout en y glissant des images d’archives est une façon de lui rendre hommage tout en laissant une trace pour la postérité. Mi-punk, mi-anarchiste, car d’aucun bord politique, Mix aimait le rock, Frank Zappa et le rap américain. Ses goûts se retrouvent en partie dans la bande-son, qui fait la part belle aux chansons de Léonard Cohen et à des accents jazzy plus langoureux. Le personnage était complexe, insaisissable presque : attachant, très ironique, il savait aussi se montrer tendre. Mais grand stressé devant l’Éternel, étouffant sous le poids du succès, Mix avait fini par se sentir enfermé dans ses petits personnages si caractéristiques.

Entre son enfance en Valais et sa carrière à Lausanne, le parcours de Mix reflète forcément une certaine époque. À un moment où aucun journal n’avait de dessinateur attitré, il faisait figure de pionnier avec un espace réservé à son « strip » hebdomadaire, parfois l’unique raison qui poussait à l’achat du magazine. En arrière-plan se dessinent les portraits de celles et ceux qui l’ont soutenu, notamment son épouse Dominique, rencontrée sur les bancs des Beaux-Arts, la « Remix » du duo à quatre mains qu’ils formaient avant qu’elle ne se consacre entièrement à la vie de famille. Plus tard, c’est grâce à Arianne Dayer, rédactrice en chef du Matin Dimanche, que son trait se démocratisera, passant du lectorat plutôt intello de L’Hebdo à celui plus populaire de second journal.

Reste une question, celle de l’origine du trait de génie, que le film n’élude pas, sans toutefois parvenir à y répondre véritablement. D’un côté, le père de famille aimant, l’ami « trouillard » et discret doté d’un féroce sens de l’humour. De l’autre, celle du dessinateur minimaliste, parfois torturé , mais surtout extrêmement stressé, qui produisait une cinquantaine de dessins par semaine. Sollicité de toutes parts, Mix ne refusait jamais un projet. Paradoxalement, ce n’est qu’à l’annonce de sa maladie qu’il parviendra à se libérer du carcan des petits personnages à gros nez, tendant vers un dépouillement incisif, libéré des contraintes. Ceux qui connaissaient ses dessins apprécieront d’en découvrir plus sur celui qui se cachait derrière ; quant aux autres, espérons qu’ils découvriront avec plaisir les péripéties de ses petits personnages à nul autre pareils.

02.05.2022

3

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Commentaires

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Grigouz

il y a 1 an

Sympathique documentaire gorgé d’archives !


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