Reinas Pérou, Espagne, Suisse 2024 – 105min.
Critique du film
Chronique familiale entre père et mère
La réalisatrice helvético-péruvienne Klaudia Reynicke signe avec «Reinas» une touchante chronique familiale au cœur d’un Pérou essoufflé.
En 1992, le Pérou est en pleine récession et l'organisation insurrectionnelle du Sentier lumineux fait des ravages dans le pays. Dans ce contexte politique instable, Elena (Jimena Lindo) décide de prendre le large avec ses deux jeunes filles. Direction Minneapolis, elle vient d’y décrocher un nouvel emploi. Or, pour quitter le pays, elle doit obtenir la signature de son ex-conjoint (Gonzalo Molina). Le départ est prévu dans trois semaines, et celui qui n’était plus qu’un étranger, refait surface et semble vouloir renouer avec ses filles.
Au bord de l’implosion, les étoiles brilleraient de mille feux avant de s’éteindre pour l’éternité. Le nouveau film de la réalisatrice Klaudia Reynicke («Love Me Tender», remarqué à Locarno en 2019) est taillé dans ce même phénomène stellaire. La famille, qui n’était plus, le redevient, doucement, péniblement, et étincelle le temps d’un bref instant. Il les appelle «mes reines» («reinas» en espagnole), un surnom pour le moins curieux alors que le personnage de Gonzalo Molina n’avait plus donné signe de vie. À sa réapparition, la grand-mère (l’excellente actrice espagnole Susi Sánchez et fidèle de Pedro Almodóvar) parle de miracle.
À l'entendre, il est acteur, agent secret, entrepreneur dans la sécurité et parle Quechua. Les paroles fusent et les mensonges peut-être un peu aussi. Bientôt, le pedigree est trahi par une plaque “taxi” planquée dans la boîte à gants de sa vieille Lada rouge. Mais qu’importe, les deux jeunes filles retrouvent un peu leur père. Difficile alors de s’en séparer à nouveau. Sous la houlette de la touchante Jimena Lindo, qui coordonne les visites, il les emmène en promenade, à la plage. Au gré de leurs déambulations, la caméra de Diego Romero accompagne un regard méticuleux sur les paysages et ce que fut le climat tendu des années sous la présidence d’Alberto Fujimori.
Sur fond d’autoritarisme cuisant et la signature en ligne de mire, Klaudia Reynicke compose une œuvre d’une profonde tendresse, tournée presque exclusivement à hauteur des deux jeunes filles. Un contexte qui force les enfants à grandir trop vite, et les parents à perdre pied. Remarqué à Sundance, ou «Reinas» célébrait en grande pompe sa première mondiale, la Berlinale ne s’y est pas trompé. Dans «Reinas», le vertige indicible des départs devient tangible, et l’œuvre de Klaudia Reynicke n’en est que plus émouvante.
(Berlinale 2024)
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