Interview

Patrice Leconte aime le bordel

Pour «Rue des plaisirs» Patrice Leconte («Les bronzés», «Tandem») filme avec élégance et fluidité une histoire d'amour fou et impossible entre une superbe prostituée (Laetitia Casta), qui rêve de devenir chanteuse, et l'homme à tout faire (Patrick Timsit) du bordel où elle officie.

Patrice Leconte aime le bordel

Q:Après «La fille sur le pont», «La veuve de Saint-Pierre» et «Félix et Lola», vous évoquez une nouvelle fois la passion amoureuse...A:Je me demande s'il y a d'autres choses à raconter au cinéma. Je crois qu'au fond de moi, je suis un incorrigible sentimental. Il n'y a que ça qui me maintienne vraiment en vie. Q:Vous n'avez pas l'impression de tourner trop de films depuis quelques années ?A:Là aussi, c'est une histoire de passion. Tous les films que j'ai faits l'ont été avec le même enthousiasme, la même passion, en y croyant complètement à chaque fois. Q:En quelques mots, pouvez-vous nous raconter l'histoire du film ? A:C'est l'aventure d'un homme, Petit Louis, qui est raide amoureux d'une fille, qui pense qu'il n'est pas assez bien pour elle et qui lui cherche un homme merveilleux. C'est «le ver de terre amoureux d'une étoile». Pour moi, cette histoire d'amour est à la fois riche et émouvante parce qu'elle porte en elle de la gaîté, de l'optimisme et une noirceur mélodramatique.Q:Comment vous êtes-vous documenté pour reconstituer la période décrite dans «Rue des plaisirs» ?A:Je ne suis pas quelqu'un qui se documente en profondeur pour aborder telle ou telle époque. Je ne me suis alors pas plus renseigné sur le XVIIIe pour «Ridicule» que sur le XIXe pour «La veuve de Saint-Pierre». Je fais confiance à mon imagination. Pour «Rue des plaisirs», j'ai dit à mes actrices: «Je sais que nous allons donner une vision idéalisée du bordel: on va donc faire comme si toutes ces filles ont vécu là des jours heureux, et qu'aucune ait jamais rechigné à monter avec un client». Q:Comment est née l'idée de ce film co-écrit avec Serge Frydman ?A:C'est la troisième fois que je travaille avec lui. Durant l'écriture des «Grands Ducs» et de «La fille sur le pont», Serge et moi avions des échanges réguliers. Un jour, il m'a dit: «J'ai une histoire qui me trotte dans la tête. Ça se passe à la Libération, au moment de la fermeture des bordels. Je ne peux pas t'en dire plus, mais je ne le ferai que si cela t'intéresse». Je lui ai alors répondu: «Rédige; quoique tu écrives, je le tournerai». Ce qui m'enchante dans l'écriture de Serge Frydman, c'est qu'elle me fait très vite imaginer la mise en scène. Contrairement aux titres précédents, le résultat final correspond quasiment à la toute première version du script.Q:Les chansons réalistes, avec leurs histoires de filles perdues, de rédemption et d'amour impossible, ont été une importante source d'inspiration pour ce film.A:Elles nous ont donné la tonalité juste. Serge Frydman les connaît bien et en a mis plusieurs dans son scénario. Ces chansons font cohabiter des ambiances très joyeuses et très sombres. Le film fonctionne sur cette double tonalité. Q:Laetitia Casta chante dans le film...A:Oui, «C'était écrit», une chanson que Michel Blanc m'avait fait entendre il y a plus de vingt ans, dans un enregistrement de Maurice Chevalier. Après avoir réorchestré cet air, qui collait parfaitement aux situations et au personnage de Marion, j'ai demandé à Laetitia si elle était prête à le chanter. Elle a pris des cours de chant et a décidé d'enregistrer avec l'orchestre, comme à l'époque. On a fait trois prises, avec le trac. La troisième était la bonne. Q:Comment avez-vous choisi vos acteurs ?A:Contrairement à «La fille sur le pont», que nous avions conçu pour Vanessa Paradis, «Rue des plaisirs» a été écrit sans la moindre idée de casting préalable. J'ai vite pensé à Patrick Timsit pour Petit Louis parce que c'est un acteur que j'aime beaucoup. C'est un battant, un homme très joyeux... Il a peut-être ses zones d'ombre, ses doutes, mais il n'en fait jamais état. Petit Louis est un peu comme cela. Pour Marion, j'avais dans un coin de ma tête Laetitia Casta. Je ne l'avais pas vue dans «La bicyclette bleue», mais découverte dans une émission où elle faisait la promo d'«Astérix». Elle m'avait captivé, pas seulement par sa photogénie, mais par sa présence, son charme spontané, son naturel face à ces redoutables professionnels que sont Christian Clavier et Gérard Depardieu. Elle a abordé ce rôle sans chichi et elle a été jusqu'au bout une interprète exemplaire. Quant à Vincent Elbaz, je ne l'avais jamais rencontré, mais son travail m'a toujours emballé. Je lui ai proposé le rôle de Dimitri en lui disant simplement qu'il s'agissait de quelqu'un de clair et de secret à la fois, un instable. Et cela a suffi à Vincent. Q:Dès la première scène, vous installez un va-et-vient entre deux époques. L'histoire est racontée par deux prostituées, qui posent un regard nostalgique sur «l'âge d'or» des maisons closes. Pourquoi ce mode narratif ?A:Serge Frydman aime les films dont l'intrigue est rapportée par une tierce personne, un témoin. Ici, deux anciennes pensionnaires du «Palais Oriental» racontent l'histoire de Marion et Petit Louis à une plus jeune et reviennent souvent dans le film pour commenter ce récit. Quand ces filles évoquent le passé, c'est avec des étoiles dans les yeux parce que l'aventure de Petit Louis et Marion fut exemplaire.

31 octobre 2002

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