Swan Song Etats-Unis 2021 – 105min.
Critique du film
Look at Miss Ohio
Todd Stephens plante une nouvelle fois sa caméra sur le sol de son Ohio natal pour suivre l’histoire d’un coiffeur mandaté, à titre posthume, par l’une de ses anciennes clientes.
Fumeur intempestif, il allume ses cigarillos à l’orée d’un songe d’une nuit d’antan ; un être cloué au fauteuil de cette maison de retraite, à la merci de ses sbires pourtant charmants. Pat Pitsenbarger était ce coiffeur et dragqueen, admiré, jadis. Les grandes figures des bords du lac Érié n’avaient d’yeux que pour le «Liberace de Sandusky» ; mille et une pierres aux doigts, costumes à pince, chapeau de feutrine, et la pose inoubliable d’un poignet élégant.
Aujourd’hui reclus dans la valse de ses souvenirs, les strass sont devenus peau de chagrin et l’artiste plie des petites serviettes de manière compulsive. Cette amie du nom de Rita Parker Sloan, fervente catholique et républicaine aguerrie, avait forgé sa réputation avant de le trahir pour un autre salon. Pat a toujours eu conscience de sa place, confiera-t-il au petit-fils de la défunte, toléré jusqu’à un certain point. Et voilà qu’elle refait surface, insolente jusque dans la mort, pour une permanente à 25,000 dollars. Un cas de conscience pour Pat, et l’occasion d’apaiser sa rancœur. Porté par des airs de cabaret, l’emblématique Udo Kier incarne cet être déchu, solaire, en passe de retrouver cette aura qui fut la sienne. La légende en incarne une autre, et l’acteur apporte un charme singulier à cette figure rococo, un peu kitch, désuète.
Après Another Gay Movie et son sequel, le cinéaste Todd Stephens change de registre, embrasse le cinéma d’auteur, et poursuit son étude de l’homosexualité au cœur des paysages qui l’ont vu grandir. Swan Song dévoile le parcours de celui qui entreprend un voyage à pied, loin de sa maison de retraite. Ainsi s’entame une démarche spirituelle, comme si Lagerfeld et Liberace tenaient le volant du tracteur de Richard Farnsworth dans A Straight Story (1999). La photographie contemplative appuie la féminité grandiloquente d’un Udo Kier à l’accent allemand. Sans-le-sou, un peu misérable et fabuleux, il pavane dans les rues de Sandusky en jogging et retrouve sa maison, son ancien salon de coiffure, son assistante Dee Dee Dale (incarnée par Jennifer Coolidge), une cliente. Pat se souvient de tout.
Né en 1944 à Cologne, Udo Kier a traversé les époques devant la caméra des plus grands, incarnant des personnages de vampires ou aux côtés de Pamela Anderson. Swan Song lui offre un dispositif intimiste pour parler d’homosexualité, des années SIDA, des périphéries américaines, des bouleversements sociaux et de l’Ohio gentrifié qui rachète les bars gays pour en faire des microbrasseries. Avec ses airs de pellicule épurée et de scénario lacunaire, Todd Stephens confronte les générations, et ce jusque dans sa musique étalée de Liza Minnelli à RuPaul. Alors il faudra être attentif, car au-delà du film, il y a surtout les sujets qu’il aborde. Swan Song est une fable voluptueuse, légère, sensible et délicate.
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