CH.FILM

Love of Fate Suisse 2021 – 88min.

Critique du film

À rebours de la tragédie

Critique du film: Laurine Chiarini

Tiré des images d’un segment de récit jugé a priori inexploitable, Love of Fate relate le point d’orgue d’un hasard dramatique où viennent se fracasser les existences humaines.

Au Liban, deux familles de réfugiés syriens, heureuses bénéficiaires d’un programme de « réinstallation » organisé par le gouvernement allemand, se préparent à leur nouvelle vie. La caméra suit les protagonistes durant les cinq jours précédant leur départ, des derniers préparatifs à l’arrivée sur sol allemand. Mais le destin va arrêter net sur sa lancée l’une des familles, torpillant d’un seul coup ses perspectives d’une vie meilleure.

Tournées à l’origine dans le cadre du documentaire Eldorado de Markus Imhoof, sorti en 2018, les prises de vue sur lesquelles est construit Love of Fate n’avaient pas été retenues au montage final du premier film. De par un tour machiavélique du destin que ni le réalisateur, ni les protagonistes n’auraient pu imaginer, ces images, soudain chargées d’une obscurité inattendue, prenaient naturellement leurs distances avec le récit initial, formant à elles seules une histoire à part entière. Si le film existe, c’est en grande partie grâce au courage et à la perspicacité de Peter Indergand, le chef opérateur, et de Jürg Lempen, l’ingénieur du son, qui ont eux-mêmes décidé de filmer l’entier du moment où tout bascule, alors qu’il était initialement prévu qu’ils n’enregistrent ce jour-là que deux courtes séquences.

Ce sont les récits personnels, ceux racontés par des êtres humains à la fois si communs et si singuliers, qui permettent aux autres de mettre un visage sur l’histoire, de la rendre universelle et de s’y projeter. Dans le capharnaüm des allées défoncées du camp libanais où vivent les familles, l’humeur est aux réjouissances : gagnantes à la loterie de l’immigration, les familles Jarad et Alsouki se préparent à partir vers un avenir meilleur, entre préparatifs des bagages, initiation éclair à la culture européenne et cours de langue accélérés. Fondue au milieu des groupes, la caméra laisse aux personnages tout l’espace pour s’exprimer ; ainsi, le montage, qualifié d’« anti-montage » par le réalisateur et producteur Pierre-Alain Meier, est construit autour des personnes, et non l’inverse. L’ambiance est studieuse, drôle même : de ce qu’ont retenu les Syriens, les Allemands reçoivent un animal pour leur tenir compagnie à la retraite.

Love of Fate est un film de la fragilité : le dramatique retournement de situation auquel nous assistons, incrédules, fait voler en éclat une unité pourtant solidement établie. Ainsi, les neuf enfants et l’épouse de la famille Jarad ne peuvent vivre sans Mohsen, le père de famille. Mais une fois les rôles brutalement renversés, le groupe n’a pas perdu un membre : il ne peut simplement plus exister, avec une épouse analphabète et cinq enfants issus d’une union précédente. La vie ne tient qu’à un fil : tel est ce que nous montre ce film qui, avec une rare puissance, parvient à nous faire voir les protagonistes presque d’égal à égal, véritable coup de poing et tragédie formellement parfaite jusqu’à la dernière image.

13.03.2024

4.5

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