CH.FILM

Madame Suisse 2019 – 94min.

Critique du film

Des archives pour un coming-out

Camille Vignes
Critique du film: Camille Vignes

Avec Madame, le cinéaste genevois Stéphane Riethauser se dévoile. Il raconte le parcours qui l’a mené à faire de son homosexualité (d’abord très complexante) son cheval de bataille dans un documentaire unique. Un long métrage fait d’images privées filmées pour s’amuser ou pour préserver la mémoire d’un être cher.

Madame est le portrait d’une grand-mère au caractère mémorable. Une femme beaucoup trop émancipée pour son époque, passée de prisonnière de sa condition au début des années 20 à femme d’affaire dans un monde régi par les hommes. Sous forme de documentaire, ce portrait féminin trouve écho dans le témoignage du réalisateur: l’histoire de son coming out dans une famille bourgeoise genevoise, de comment il a fait exploser les règles de son milieu en révélant son homosexualité pour mieux pouvoir militer.

Reality de Jeff Jordan, Comme Ils Disent de Charles Aznavour, Où sont les femmes de Patrick Juvet… au rythme de ces sons connus, Stéphane Riethauser se joue avec finesse des images collectées tout au long de sa vie. Les films de son père, des heures de vidéos familiales, sont mêlées à ses propres tournages de jeunesse pour créer un long-métrage vintage de 94 minutes. Ces images s’enchaînent dans un montage admirable et généreux (parfois cocasse, souvent trop systématique) qui laisse transparaître un bonheur furtif. Madame est une chorégraphie anachronique (en ce qui concerne les images, pas la voix) qui alterne souvenirs de petite enfance et d’autres de fin d’adolescence. La voix calme du réalisateur, à laquelle on pourrait reprocher d’être trop mécanique, narre deux histoires épaisses et vibrantes qui se répondent l’une l’autre.

Car Madame est avant tout la reconstitution de deux époques aux contextes sociaux différents et pourtant pétris des mêmes préjugés. Il passe de Caroline, la grand-mère rebelle et épatante du cinéaste (décédée en 2004 à 95 ans) à Stéphane, le jeune gay refoulé devenu activiste. Lui s’est pris son homosexualité en pleine figure avant de l’accepter, elle s’est frottée à sa condition de femme toute sa vie en cherchant à la transcender. Or elle est là, la dimension la plus perturbante de ce documentaire: il décrit crûment ce que c’était, et ce que c’est encore qu’être femme. Les violences qui leur sont faites traversent ce récit autant que les époques. Celle de Stéphane ne leur laisse que deux choix, être «salope ou coincée». Celle de Caroline les reniait quand elles divorçaient ou cherchaient à s’affirmer. Grâce à ces deux histoires, Madame est une fresque intergénérationnelle qui parle joliment, sans tabou, de quête d’identité.

En bref!

Le masculin l’emporte, c’est la première leçon. Le masculin qui vole aux femmes leur identité, qui insulte des lesbiennes et qui refoule les gays, celui qui ne voulait rien féminiser, quitte à nier une partie de l’existence. Madame est le récit croisé de deux individus liés par le sang et par un amour indéfectible. Deux individus qui cherchent à revendiquer leurs différences et leur individualité. Lourd dans sa forme, trop systématique, c’est un documentaire personnel émouvant qui flirte facilement avec l’universel.

25.10.2019

3

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