La femme de Tchaïkovski Russie, fédération de 2022 – 143min.

Critique du film

L'ombre de l'artiste

Critique du film: Teresa Vena

Réalisateur de l’intrigant La Fièvre de Petrov sorti en 2021, Kirill Serebrennikov nous présente son nouveau long métrage, présenté en Compétition au Festival de Cannes 2022.

Du «Lac des cygnes» à «Casse-noisette», les compositions de Piotr Ilych Tchaïkovski comptent parmi les œuvres les plus connues de la musique classique. Probablement homosexuel, l’artiste était pourtant, sans grande surprise, marié. Et c'est de son épouse, Antonina, dont il est question dans cet opulent drame historique.

Si Tchaïkovski fait clairement comprendre à sa femme la répulsion qu’elle lui inspire, elle s’accroche, obsédée par son mariage. Une caractérisation qui s’inscrit dans une interprétation du personnage, accentuant l’impact qu'Antonina aurait eu sur le compositeur, la rendant responsable de son déclin en entravant son génie.

Pendant plus de deux heures et demie, nous assistons à l'humiliation répétée de la protagoniste qui n’est pas complètement innocente. Il en ressort une sensation de voyeurisme, une recherche de plaisir dans la souffrance et la misère d'autrui, baignée de misogynie. Une approche plus critique aurait pu mettre l’accent sur le cercle d’hommes entourant l’artiste. En effet, l'homosexualité était, comme aujourd'hui encore, un sujet tabou en Russie, une identité dangereuse à assumer ouvertement. «Discréditer» un héros national comme Tchaïkovski pourrait être tout aussi risqué.

De ce personnage principal, personnification du fanatisme, pourrait transparaître une intention politique et critique du réalisateur Kirill Serebrennikov. Lorsque Tchaïkovski écrit à sa femme, tous ses mots sont calculés, il utilise des éléments de lettres d'amour types pour la gagner à sa cause et flatter son propre ego.

Et ainsi, Antonina l’idolâtre comme un être supérieur, et peu lui importe s'il se comporte comme un tyran impitoyable. Cet aveuglement, ce désir d'être dirigé, pourrait être perçu comme un commentaire sur Poutine et son entourage. Une subtilité interprétative dans un contexte contemporain tourné vers la Russie.

(Festival de Cannes 2022)

Traduit de l’allemand.

09.01.2023

3

Votre note

Commentaires

Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.

Login & Enregistrement

CineFiliK

il y a 1 an

“A la folie… pas du tout”

Antonina Miliukova, jeune Russe de petite noblesse, tombée sous les charmes de Piotr Tchaïkovski, compositeur au succès grandissant. Elle rêve de l’épouser et, après insistance, celui-ci finit par accepter.

Elle l’aime beaucoup, passionnément, à la folie, mais lui, pas du tout. Sur son lit de mort, en pleine veillée funèbre, le génie de la musique ressuscite pour cracher toute sa haine à la figure de celle qui n’a jamais voulu signer les papiers du divorce. Un visage éclairé en son temps par le soleil lorsque miraculeusement l’homme convoité lui propose le mariage. Il l’aimera comme un frère aime une sœur, d’un amour calme et chaste. Au prix d’un changement de position, c’est alors lui qui s’illumine quand la dévouée accepte à son étonnement cet arrangement qui permettra au bougre de faire taire certaines rumeurs.

C’est le début de la fin. Mariage au milieu des misérables, alliance enfilée avec peine, baiser dégoûté et banquet aux allures d’enterrement. Les mouches sont autant d’idées noires qui virevoltent autour des personnages. « Fuyez-le », lui conseille-t-on. Pas de quoi s’apitoyer néanmoins, car l’ingénue bafouée résiste et s’affiche de plus en plus possessive : « Vous ne vivrez pas sans moi », assène-t-elle. Fatale liaison. Sous ses voilettes noires, la pieuse Antonina désormais corrompue s’essaie aux mâles. Pactisant avec le diable, elle brûle de désir et tout ce qui lui reste. A jamais perdue au milieu de corps nus, la sorcière s’offre un ultime sabbat.

Entre audace et talent, Kirill Serebrennikov décale un biopic attendu sur un héros national pour adopter le regard de celle abandonnée dans l’ombre. Incarnée avec force par Aliona Mikhaïlova, la femme de Tchaïkovski hante tous les plans-séquences de ce drame lyrique. Un fantôme à l’aura trouble, troublée, troublante. Crépusculaire, cette fresque dense, éclairée à la bougie, offre des tableaux au contraste brutal et magnifique. On se laisse envoûter au risque de se perdre dans ce labyrinthe des passions dévorantes.

(7.5/10)Voir plus

Dernière modification il y a 1 an


Autres critiques de films

Civil War

Kung Fu Panda 4

Back to Black

Godzilla x Kong: Le Nouvel Empire