CH.FILM

Monte Verità Suisse 2021 – 116min.

Critique du film

Une autre montagne magique

Critique du film: Laurine Chiarini

La projection du film de Stefan Jäger au 74ème festival du film de Locarno avait quelque chose de réellement magique : tourné dans la région d’Ascona, le film se retrouvait « à domicile » pour son avant-première. Monte Verità relate l’histoire d’Hanna, jeune femme de la bonne société viennoise à l’existence étouffée dans un carcan bourgeois. Laissant derrière elle filles et époux, en quête de sens, elle décide un jour de rejoindre son médecin à Monte Verità, communauté d’idéalistes avant l’heure aux méthodes révolutionnaires, installée dans un sanatorium au Tessin.

Monte Verità, qui signifie littéralement « colline de la vérité », se pose en défenseur de l’émancipation et de la libre pensée. L’endroit a réellement existé : dans les années 1900, Ascona représentait l’un des hauts lieux d’expérimentation de la Lebensreform, mouvement né en Allemagne dans la seconde moitié du 19ème siècle prônant notamment un retour à la nature et précurseur de la mouvance hippie. Des hôtes aussi illustres que le philosophe Nietzsche, l’anarchiste russe Mikhaïl Bakounine ou l’écrivain Herman Hesse – qui, dans le film fait la lecture aux hôtes de ses derniers écrits ou ses vues en faveur du végétarianisme, y ont séjourné.

Hanna (Maresi Riegner), personnage fictif, prend le relais là où l’histoire officielle nous laisse face à un mystère. Stefan Jäger avait pris comme point de départ les documents d’archives sur l’histoire de la communauté : parmi eux, plusieurs photos d’auteurs inconnus. Le mari d’Hanna, photographe réputé, étouffe ses sujets en les forçant à retenir leur souffle dans des poses artificielles. Or, Hanna développe une passion pour la photographie, qu’elle approche avec un naturel et une sensibilité à contre-courant des préceptes de l’époque. S’émancipant par son art, elle libère également ses sujets, à qui elle demande de bouger mais, surtout, de respirer lorsqu’elle est derrière la caméra. Les photos servent aussi la narration : figées sur un cliché en noir et blanc, certaines scènes permettent au récit d’évoluer avec fluidité.

Ce n’est pas un hasard si le réalisateur a décidé de mettre en scène des dispositifs permettant de fixer, mais aussi d’animer l’image. « Moi aussi, j’aimerais être danseuse plus tard », s’exclame la fille aînée d’Hanna lors d’une séance avec ce qui est vraisemblablement un praxinoscope à projection. Or, la femme qui se meut avec grâce sous les yeux des deux fillettes et de leur mère, vêtue de simples voilages, n’est autre qu’Isadora Duncan, danseuse et chorégraphe aux pratiques révolutionnaires, fameuse pour avoir posé les bases de la danse moderne et, incidemment, autre hôte illustre ayant séjourné à Monte Verità.

Sans surprise, c’est sur la « colline de la vérité » qu’Hanna renouera avec sa propre authenticité et parviendra enfin à respirer, elle qui souffre d’une maladie pulmonaire. Le film se veut féministe, mettant en lumière l’émancipation des femmes à une époque où ces dernières voyaient leur existence strictement définie par des codes sociaux patriarcaux. Ainsi Lotte, femme que les gens regardent avec crainte, n’a rien d’une sorcière, mais tout d’une femme profondément dépressive, mise au ban de la société après avoir refusé un mariage arrangé. Ce ne sont pas seulement les aspirations des femmes qui sont prises au sérieux, mais aussi leurs douleurs, physiques ou psychiques, promptes à être qualifiées de fantaisistes par les médecins de la ville, problématique qui trouve aujourd’hui encore tout son écho.

(Critique dans le cadre du 74e Festival du film de Locarno.)

17.08.2021

4

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