CH.FILM

Les nouvelles Èves Suisse 2021 – 80min.

Critique du film

La révolution sera tranquille

Critique du film: Laurine Chiarini

Que signifie être une femme en Suisse aujourd’hui ? Pourquoi a-t-on encore besoin de manifester pour l’égalité entre les sexes ? Tourné par 6 réalisatrices, Les nouvelles Èves met en lumière le quotidien de 6 femmes aux âges et profils différents, aux 4 coins de la Suisse.

Valeria, Naima, Sophie, Sela, Delphine, Cosima : de l’écolière à la jeune retraitée, de la Romandie à la Suisse alémanique, en passant par le Tessin, le film suit les efforts invisibles du quotidien de ces 6 femmes. Payée au lance-pierre, avec des horaires irréguliers, Naima n’aspire qu’à se former pour évoluer. Enseignante à l’Université de Lausanne, Sophie jongle entre « 150 emails, 100 WhatsApp et 25 appels » chaque jour et sa vie de famille. Sela, chanteuse d’opéra, se sent à l’étroit dans les cases rigides que ses rôles lui assignent. L’écolière Cosima, déjà consciente des stéréotypes genrés, les combat à sa façon.

Ces dernières années, le cinéma suisse s’est montré plutôt prolifique en matière de films féministes : en 2018, #femalepleasure, de Barbara Miller, racontait l’histoire de 5 femmes courageuses face aux violences d’une société patriarcale. La même année sortait Les Dames, du tandem Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, portraits du discret combat contre la solitude de 5 sexagénaires en Suisse. En 2017, L’Ordre Divin, de Petra Volpe, revenait sur la lutte des suffragettes en Suisse en 1971. Les nouvelles Èves vient ajouter sa pierre à l’édifice : également tourné par des femmes, d’une cohérence remarquable pour un ouvrage créé à 12 mains, efficace sans être revendicateur, le film ne se borne pas à montrer le quotidien de plusieurs femmes. Subtilement, mais sans jamais la nommer, il expose le poids de la charge mentale, carcan rigide découlant d’une tradition autant historique que sociale et patriarcale.

Universitaire, émigrée, chanteuse d’opéra ou écolière : ce qui frappe parmi les protagonistes est le côté universel de leur combat. De manière parfois visible, parfois silencieuse, toutes font face à leur façon aux diktats et traditions dans lesquels elles refusent de se laisser enfermer. Sous la pression de son ancien compagnon, Naima s’était imposé régime amincissant et augmentation mammaire : « je le haïssais, mais c’est moi-même que j’aurais dû haïr pour le laisser me faire ça ». Dans une course constante entre travail et famille, Sophie ne cesse d’arrondir les angles, se proposant spontanément pour suppléer à son époux lorsqu’il a oublié une tâche qui lui était pourtant assignée, elle pour qui le concept de « care » consiste à prendre soin de soi et des autres, dont l’on comprend à demi-mot qu’elle s’en occupe peut-être trop au détriment de sa propre personne.

Loin d’être en reste, les plus jeunes font preuve de lucidité, mais aussi de créativité : « sans femmes, il n’y aurait plus de cowboys », rétorque Cosima l’écolière à un compagnon de jeux alors que les garçons veulent se donner le beau rôle face aux filles. La représentation sociale des filles et femmes affecte forcément la perception qu’elles ont d’elles-mêmes : comme le décrit Delphine, étudiante genevoise, les « trucs de fille, de fillette, de gonzesse » qu’on lui reprochait enfant ont contribué à façonner la personne qu’elle est aujourd’hui. Sous une apparente innocence, le langage peut avoir un lourd impact sur l’estime de soi et la construction d’une identité. Sans fanfare, sous des airs de scènes de la vie quotidienne, *Les nouvelles Èves constitue une petite victoire sur l'archaïsme et l'inégalité ordinaires.

09.02.2022

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