CH.FILM

Réveil sur Mars France, Suisse 2020 – 75min.

Critique du film

La poésie d’une vie torturée

Emma Raposo
Critique du film: Emma Raposo

C’est un phénomène aussi énigmatique qu’inquiétant. Après avoir réalisé Sans le Kosovo en 2017, l’Albano-suisse Dea Gjinovci s’est penchée sur le syndrome de résignation, un mal touchant plusieurs dizaines d’enfants réfugiés en Suède. Devant l’objectif de la réalisatrice, la famille Demiri, dont les deux filles sont entrées dans une forme d’apathie sévère il y a plusieurs années, se livre avec pudeur sur son quotidien sinueux.

Peu sont ceux qui ont déjà entendu parler de ce trouble. Et pourtant, le syndrome de résignation diagnostiqué pour la première fois à la fin des années 90 en Suède frappe de plein fouet des dizaines de familles réfugiées. La cause? Les traumatismes vécus dans leur pays d’origine, suivis d’un stress sévère suite au rejet de leur demande d’asile. Le résultat? Une perte des fonctions vitales comme manger, marcher, communiquer.

La famille Demiri en sait quelque chose. Ses deux filles aînées, Djeneta et Ibadeta, sont entrées dans un profond coma il y a trois ans après avoir appris qu’elles et leurs parents seraient expulsés. Allongées dans leur lit, inertes, mais pourtant conscientes d’une certaine manière, les deux jeunes filles, comme anesthésiées par la souffrance, ont lâché prise et fui l’insoutenable. Nourries par un tube, les jeunes femmes attendent des jours meilleurs où elles se sentiront enfin en sécurité. Autour d’elles, dans ce petit appartement de Horndal, gravitent leur père et mère, ainsi que leurs deux jeunes frères, Resul et Furkan. Ce dernier s’est mis en tête de construire un vaisseau spatial pour emmener ses deux sœurs sur Mars. Dans la casse à voitures du coin, il amasse vieux fils électriques, rétroviseurs et autres morceaux de carrosserie pour bâtir l’engin qui l’emmènera dans l’espace.

C’est après avoir lu un article dans le New Yorker que Dea Gjinovci s’est intéressée à ce mystérieux phénomène. Chaque année, quelque 200 enfants sont victimes de ce mal étrange en Suède. Plongés dans un profond sommeil, ils se réveilleront, c'est sûr, mais quand? La réalisatrice a voulu se distancier de l’aspect politique de la question afin de se concentrer sur la dimension psychologique, sur les répercussions qu’une telle maladie peut avoir sur l’entourage, et la façon dont elle affecte leur vie au quotidien. Visites régulières du médecin, allers et venues à l’hôpital, bataille incessante afin d’obtenir son droit de séjour en terres nordiques; la famille Demiri comme des Roms du Kosovo persécutés dans leur propre pays, ne sont pas épargnés.

Énigme médicale, le syndrome de résignation, ou syndrome d’Uppgivenhets, a suscité la controverse en Suède et animé le débat politique. Aujourd’hui reconnu comme une pathologie à part entière, et également diagnostiqué dans d’autres régions du monde, il reste néanmoins sujet à polémiques dans une Suède se prétendant ouverte aux étrangers. Mais au-delà de la dimension politique, Réveil sur Mars, lauréat du prix du meilleur film national au Festival du film international de Dokufest, explore avec discrétion les tréfonds de la souffrance et du désespoir. Dans les vastes étendues de neige du nord, il sonde les peurs les plus primaires en les teintant d’une poésie onirique et de la mélodie d’espoir d’un petit garçon et de sa fusée. De l’obscur, Dea Gjinovci en extrait la part de lumière et d’espérance. Un documentaire beau et troublant.

26.05.2021

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