Le Dernier Duel Royaume-Uni, Etats-Unis 2020 – 152min.

Critique du film

Dieu épargnera ceux qui disent la vérité

Sven Papaux
Critique du film: Sven Papaux

À 83 ans, Ridley Scott, signe un nouveau film radical à travers une épopée médiévale viscérale. Une quête de vérité pour faire toute la lumière sur une histoire d’agression sexuelle dans l’aristocratie française, la victime : Dame Marguerite, violée par Jacques Le Gris. Un reflet de la misogynie et de la perception faussée de la vérité.

L’histoire, basée sur des événements réels et d’après l’ouvrage éponyme d’Eric Jager, a pour centre d’intérêt le dernier duel judiciaire connu en France - autrement appelé le « Jugement de Dieu » - celui qui oppose en 1386 Jean de Carrouges (Matt Damon) à Jacques Le Gris (Adam Driver), deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Alors que Jean rentre de campagne militaire, il apprend le viol de son épouse. Dame Marguerite (Jodie Comer) refuse de garder le silence et alors que Le Gris récuse les accusations à son encontre, un duel à mort viendra décider du jugement de cette affaire et tentera de rétablir l’honneur bafoué. Les voilà qu’ils placent leurs destinées entre les mains de Dieu.

Un découpage en trois parties pour étudier cette affaire sous trois angles différents. La première nous dévoile l’histoire vue par Jean de Carrouges (Matt Damon), la seconde nous présente la version de Jacques Le Gris (Adam Driver), et la troisième se pose du côté de la victime, Marguerite de Carrouges (Jodie Comer). Après sa grande première à la dernière Mostra de Venise, cette nouvelle réalisation du cinéaste britannique Ridley Scott nous expose avec brio les trois versions de cette agression, la vérité se trouvant quelque part entre les regards de ces deux hommes et cette femme devenue (contre son gré) objet des complaintes.

Marguerite de Thibouville, devenue Dame Marguerite de Carrouges est la digne femme de Jean de Carrouges, interprété par le génial Matt Damon. Mais sa dignité s’est envolée, victime de l’ami de longue date, Jacques Le Gris (un prodigieux, Adam Driver), prétentieux personnage à la vie sulfureuse et dans les bons papiers du comte d’Alençon - l’excellent Ben Affleck dans un rôle secondaire. Un film sous le prisme #MeToo, où une femme ose parler et faire entendre sa voix. Marguerite va mordre la terre et les enfers en se défendant corps et âme. Rejetée, traînée dans la boue, elle fait face à l’âpreté de l’époque. Même face à sa belle-mère, avouant qu’elle-même fut violée, la pauvre se fait lyncher et saisit le poids vertigineux du silence : la rançon des femmes au Moyen Âge, pour vivre une vie débarrassée des regards pesants.

À travers ce champ de bataille, chevauchant la férocité de deux hommes venus combattre pour leur honneur, The Last Duel amène une vision brutale de cette affaire pour finalement parler des procès d’agressions sexuelles de notre époque. Marguerite, au milieu de ce tumulte, est écartelée par l’autorité des hommes : « seule compte le pouvoir des hommes », réplique la mère de Jean de Carrouges (Harriet Walter). Et c’est bien là que Scott, bien aidé par à un solide scénario écrit à six mains par Nicole Holofcener, Ben Affleck et Matt Damon, porte le coup de grâce par sa prose du cadre et de sa maîtrise clinique. Cantonnée au dernier des trois chapitres, l’épouse de Jean de Carrouges est piégée par deux visions, entre deux mâles qui ne voient qu’un crime contre les biens, salissant l’honneur d’un patronyme.

Il n’est pas question d’un discours triomphal à la « Kingdom of Heaven », mais bien d’une douleur térébrante se logeant derrière les prunelles de vos yeux. Ici, la femme n’est que marchandise, la culture du viol est monnaie courante. La fatuité et la grossière attitude du comte d’Alençon, par exemple, sont aussi indigestes que ses orgies alcoolisées dans son château.

Une violence d’antan imprégnée d’une lumière affolante, sombre et mélancolique. La scène du viol, éclairée par les chandeliers, est d’une telle radicalité, surtout magnifiquement jouée par une Jodie Comer extraordinaire, que votre estomac se noue plus les gémissements se succèdent. Le Gris en ressort avec une condescendance crasse, laissant le poids de la culpabilité sur les épaules de sa victime. Mais à travers la vérité (la vraie) de Marguerite, l’instinct d’agresseur du diabolique écuyer prend une ampleur telle, que c’est la colère qui vous griffe. À bas l’héroïsme, ici règne la plus pure essence de la souffrance et de la honte. Un regard cynique pour une fable épique.

12.10.2021

4.5

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Commentaires

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CineFiliK

il y a 2 ans

“Notre Dame”

Dans la France féodale du XIVe siècle, Dame Marguerite accuse l’écuyer Jacques Le Gris de l’avoir violée. Afin de laver son honneur, son époux Jean de Carrouges provoque l’agresseur supposé en duel. S’il est vaincu, sa femme sera condamnée au bûcher. En vertu de la justice divine, une défaite signifie le mensonge.

Une amitié de longue date, forgée sur les champs de bataille. Mais le temps a révélé les rancœurs. Jean le blond balafré à la coupe mulet est méprisé par le comte et sa cour, déchu de ses titres et terres espérés. Analphabète, il n’a pour richesses premières que sa loyauté, sa rage de vaincre et sa très belle. Face à lui, Jacques le fataliste, grand ténébreux, manie la langue et les chiffres avec aisance. Séducteur dans l’âme, il aime rattraper celles qui le fuient. Au centre de l’échiquier, une reine non couronnée qui prend le risque de parler pour s’émanciper de ses cavaliers.

Deux hommes, une femme, trois vérités. A la manière de Rashōmon, le film d’Akira Kurosawa, chacun raconte successivement sa version des faits. Un bégaiement de l’histoire long mais maîtrisé qui permet de mieux cerner les enjeux entre honneur et justice, nuancés par le jeu des acteurs. Mais dans un monde où il n’y a pas de droit, mais uniquement le pouvoir des hommes, comment entendre le féminin ? Alors qu’à Paris, Notre Dame construit ses tours, l’Eglise toute puissante et le patriarcat ne cherchent qu’à faire taire la tentatrice et tuer Eve.

A plus de 80 ans, Ridley Scott n’a rien perdu de sa modernité. Soutenu par Ben Affleck et Matt Damon, tous deux au scénario et devant la caméra, il s’appuie sur un événement historique pour donner à ce drame médiéval une portée contemporaine. La violence des scènes de combat reflète celle infligée aux femmes : « Que portiez-vous ce jour-là ? », « Vous sentez-vous coupable d’avoir été violée ? », « « Y avez-vous pris du plaisir ? » Des questions pernicieuses balancés par des porcs à la marguerite effeuillée sans son consentement. Si le Moyen Âge n’avait rien de tendre, notre époque reste brutale. Le père de Thelma et Louise en a bien conscience et l’exprime à sa manière.

(7.5/10)Voir plus

Dernière modification il y a 2 ans


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