Talking About Trees Tchad, France, Allemagne, Qatar 2019 – 93min.

Critique du film

Le cinéma comme arme politique

Camille Vignes
Critique du film: Camille Vignes

Comment devenir cinéaste dans un pays qui a banni le cinéma? Que faire de la création dans un pays où la poésie est expulsée des seules images autorisées? À dix ans, Suhaib Gasmelbari assiste au coup d’État de juin 1989 qui propulsa le général Omar el-Béchir à la tête d’un régime islamiste et qui, durant trente longues années, fit tout pour combattre modernité, acquis culturels et création artistique.

Les films de sa jeunesse, Suhaib Gasmelbari n’en garde que peu de souvenirs, si ce n’est une scène du Miroir, d’Andreï Tarkovski. Il se souvient surtout de l’abondance des images de propagande, de leur absence de poésie, de la fermeture des cinémas, des services de police qui confisquaient les livres, et des traversées de Khartoum en quête d’ouvrages et de romans. Mais c’est le portrait de quatre cinéastes que Suhaib Gasmelbari fait dans Talking About Tree. Quatre hommes ayant connu un Soudan ouvert sur le monde et nourris de films internationaux. Ils sont allés au Caire, à Berlin ou à Moscou avant de fonder une revue de cinéma en 1970 : Manar Al-Hilo, Altayeb Mahdi, Ibrahim Shaddad et Suleiman Mohamed Ibrahim.

Le titre, Talking about Tree, est emprunté à un poème de Bertold Brecht, «À ceux qui viendront après nous». C’est à l’aurore de la Seconde Guerre mondiale, alors exilé, que l’homme écrit ces lignes où il s’interroge sur l’expression artistique en temps d’insécurité politique. «What kind of times are these, when / To talk about trees is almost a crime / Because it implies silence about so many horrors ?». Toute la puissance du titre est de montrer combien, dans un film où il n’est jamais question d’arbre (mais en était-il question quand Brecht écrivit ce poème ?), ces vers demeurent actuels.

«Le pouvoir islamique était hostile à toute forme de culture et voulait effacer ce qui lui était antérieur pour imposer sa propre vision de l’Histoire» Devant la caméra, quatre hommes parlent, rient, se dévoilent un peu, travaillent surtout leur revanche utopique, véritable projet politique. Manar Al-Hilo, Altayeb Mahdi, Ibrahim Shaddad et Suleiman Mohamed Ibrahim sont d’une autre époque, ils ont incarné un moment une promesse, celle d’un cinéma soudanais. Une promesse court-circuitée par le bouleversement politique de 89 et qui ne leur a laissé que leurs souvenirs et leurs rêves. Talking About Tree est une arme politique, et ils en sont les balles.

C’est leur ambition déraisonnable de faire renaître un cinéma d’antan et d’y organiser pour la première fois en trente ans une projection publique qui se raconte, et ce en 2015, avant même la révolution soudanaise. Menacés par le système, arrêté et torturé pour l’un d’eux, jamais n’ont ils abandonné leur humanisme fou. Talking About Tree est une mise en abîme du combat de ces quatre compères pour que le cinéma retrouve ses droits. Avec ce film Suhaib Gasmelbar se joue des codes documentaires, fait oublier sa caméra et capte la volonté pure des quatre hommes. Une volonté prête à tout, même à sinuer entre les appels à la prière pour faire renaître un art. En témoigne la raison même pour laquelle ils ont fondé Sudanese Film Group : rester cinéaste à tout prix, même quand on est empêché de faire des films.

Rieurs, inventifs et courageux mais surtout superbement optimistes, Manar Al-Hilo, Altayeb Mahdi, Ibrahim Shaddad et Suleiman Mohamed Ibrahim incarnent l’idée même de résistance. La seule chose qui leur reste quand ils se décident à combattre l’oppresseur, c’est leur vision du cinéma, celle d’un art fédérateur et nécessaire. Les enfants n’ayant jamais connu de salles de cinéma clame leur envie de partager l’expérience d’un visionnage en foule. Dans une société où les plateformes de streaming transforment la manière de consommer des films, ils se portent garant d’une culture qu’ils leur est interdite et qu’ils veulent découvrir.

En bref!

Profondément optimiste, Talking About Tree fait oublier, une heure et demie durant et sans jamais les nier, les violences que le régime totalitaire islamiste du Soudan a fait subir à la culture, l’art et les artistes. Suhaib Gasmelbari se sert de ses prises autant que des vieux métrages soudanais et des œuvres de Chaplin dans une déclaration d’amour politique offerte au cinéma.

29.01.2020

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