Abou Leila Algérie, France, Qatar 2019 – 140min.

Critique du film

Un cauchemar en forme de désert psychique

Sven Papaux
Critique du film: Sven Papaux

Amin Sidi-Boumédiène réalise un premier long-métrage étrange, métaphorique, celui d’une traque d’un supposé terroriste caché dans une petite ville. Présenté à la Semaine de la critique cannoise, Abou Leila est une surprenante découverte. À ne pas rater.

Alger, en 1994. S. et Lotfi, deux amis partis à la recherche d’un supposé terroriste nommé Abou Leila, traversent le pays, les villages d’un pays presque scindé en 2, entre une guerre civile qui fait rage dans la capitale et une autre partie où le temps semble suspendu. S., dont la santé mentale est fragile, est persuadé d’avoir retrouvé la trace du terroriste. Une poursuite éperdue à travers de petits villages et le Sahara. En s’éloignant de la capitale, où la vague d’attentats touche de plein fouet Alger, Lotfi essaie de faire retrouver la raison à S., son «frère», son ami d’enfance. Mais la percée loin de la mouvance urbaine ne fera qu’amplifier les racines d’une violence sourde.

Un avocat s’en va à son cabinet pour régler une affaire urgente. Sa femme tente de le retenir, mais rien n’y fait. L’homme s’en va, ferme la porte d’un portail, et essuie 3 balles d’un homme jaillissant discrètement d’une voiture. Entrée en matière froide, glaciale; une première scène d’un réalisme à couper le souffle. Séquence dépouillée pour une amorce frontale. Directement projeté dans une brutalité sourde, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Abou Leila (le film) est cette fresque soulevant l’enthousiasme, l’ennui, la beauté furtive d’un plan, d’une phrase, le tout plongé dans une lumière crépusculaire. Cette photographie hallucinante par moment, nous ramène à cette richesse visuelle, parfois féérique. Une première œuvre bourré de talent. Amin Sidi-Boumedine, entre son écriture sur le fil du rasoir et cette mise en scène immersive, à couteaux tirés, presque chimérique, trimard au milieu des songes et des cauchemars.

Et ce duo énigmatique: S. et Lotfi (Slimane Benouari et Lyes Salem). L’un perd la boule, l’autre ne fait que l’accompagner. Le récit ne nous dit pas qui ils sont, comment sont-ils arrivés là. C’est au détour d’un appel téléphonique, avec un certain Kamel, que les choses commencent à devenir plus claires. Boumédiène en joue, s’amuse avec son spectateur pour l’emmener dans un délire avec pour juge de paix le Sahara; carrefour des intentions croisé à une cavale presque pirandellienne, théâtre de poésies et de paradoxes. Un mirage où la violence sommeille, où les délires psychotiques sont aussi insaisissables que la réalité. On serait presque tenté de parler de la psychanalyse d’un fou, d’un homme affecté par l’atrocité des siens. Une sarabande funeste, où l’amour fraternel rejoint la mort. Lotfi fait presque écho à une résonance emphatique en le voyant poser un regard sur son ami, transpirant et titubant, vomissant après une prise de médicaments. S. est au bord de l’implosion, malade.

De ce psyché malade, Amin Sidi-Boumédiène en fait une expérience visuelle et sensorielle étonnante, parfois ennuyeuse quand elle s’étire dans le désert, parfois fascinante quand le réel se perd dans un coin du subconscient de S. Boumédiène bascule du monde réel à la frénésie d’un être fragilisé et rendu malade. Et pour couronner le tout, une photographie sublime de Kanamé Onoyama, envoûtante; un rêve éveillé, une étreinte dans un délire sans fin. Abou Leila évoque une traque en forme de mirage sans fin.

En bref!



2h20 où Amin Sidi-Boumédiène réussit à nous faire goûter au panel complet des sentiments. De la fascination à la beauté d’un plan, de la terreur froide à l’ennui, Abou Leila nous fait passer par tous les états d’âme. Pour un premier long-métrage, Boumédiène se profile comme un cinéaste à surveiller de près, très près.

06.01.2020

4

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