Critique13. April 2022

Visions du Réel 2022 - «Chaylla» : L’envers d’une plainte pour violence conjugale

Visions du Réel 2022 -  «Chaylla» : L’envers d’une plainte pour violence conjugale
© Visions du Réel 2022

Présenté en première mondiale et en Compétition Internationale Longs Métrages du festival Visions du Réel 2022, «Chaylla» dévoile l’humble et douloureux récit d’une jeune mère qui tente de porter plainte pour violence conjugale.

Une mère solaire, bouleversante, à fleur de peau, brisée, battue, abattue, une «warrior» comme elle dit, et qui n’a d’yeux que pour ses enfants. Issue d’un foyer dysfonctionnel, d’une mère violée par son père, enfant de la DDASS ; Rebahia Chaylla aura manqué d’un socle, c’est certain. Et à Roubaix, au cœur de ce qui fut, jadis, l’un des fleurons de l’industrie textile française, devenue depuis l’une des villes les plus pauvres de France, des schémas se répètent. «Chaylla» raconte une humanité en friche sur l’horizon plat d’un paysage économique désolé. Rebahia tente de se (re)construire pour venir à bout d’une relation physiquement et mentalement abusive.

À son avocat du barreau de Béthune, elle raconte que tout a commencé après que leur fils a été diagnostiqué d’une mucoviscidose. Punitif et victimisant, son conjoint lui fera porter le fardeau de cette maladie, il s’est réfugié dans l’alcool, jusqu’à 20 cannettes (50 cl) par weekend. S’ensuivent cinq pancréatites en un an, puis viendra un coup porté au nez. Dans la déposition, il est écrit que du sang a éclaboussé leur fils. C’est elle qui ouvre le documentaire. Les yeux noirs, la gorge serrée, la tête haute, elle parle ouvertement des violences dont elle est/fut la victime. Les mots se libèrent, plus édifiants encore, les maux qu’ils renferment. Et «Chaylla» de saisir une émotion vive.

© Novanima productions

Les conversations avec la belle-mère paternelle donnent le ton : «Mon fils ! 0, nul à chier». Il apparaîtra d’ailleurs, le temps d’un baiser furtif, volé le jour des 4 ans de leur fils. C’est qu’il a le sens des mondanités, mais quand il s’agit d’être père… Depuis, Rebahia a trouvé refuge à Lens, à l’« Accueil 9 de Cœur ». Empêtrée dans cette relation toxique, portée par l’espoir de créer un foyer stable pour ses enfants, elle revient, toujours, et accepte l’inacceptable auprès de cet homme. Prête pour le « coup fatal », confie-t-elle à son psychologue. Et ce ne sont pas les mots de la Police lors du dépôt de plainte qui pourront l’apaiser. Les cinéastes Clara Teper et Paul Pirritano accompagnent la jeune femme d’une élégante caméra en retenue pour dévoiler l’envers de ces procédures périlleuses et le courage qu’elles requièrent.

Une belle félicité élève le documentaire lorsqu’elle se confie à cette amie qui s’est extirpée d’une situation similaire. «Mes copains ont tous bu, ils m’ont tous frappé» nous dit-elle. Bientôt les sanglots se mêlent à l’hilarité formidable de ces deux femmes capables de rire de ce qui vous abat. «Chaylla» aura cette force. Les deux documentaristes donnent au récit de Rebahia Chaylla une valeur universelle, tout en rendant hommage à l’humanité qu’ils explorent. Une leçon d’entraide, de courage; un exploit qui tient aussi et surtout à la personnalité de la jeune femme, à la bonhomie de son entourage. Le parcours de celle qui obtient gain de cause, alors qu’elle est effrayée à l’idée d’envoyer le père de ses enfants en prison, ne manquera pas d’ouvrir un vaste débat. Sensible et nécessaire, teinté d’humour et de poésie, «Chaylla» fait certainement partie de ces documentaires trop rares.

4/5 ★

Découvrez le film en ligne sur le site du festival.

( Année : 2022 / Durée : 72' / Langue : Français / Format : HD, 16:9 )

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