Interview18. Oktober 2022

Valentin Merz sur «De Noche Los Gatos Son Pardos» et l’envie d’être libre au cinéma

Valentin Merz sur «De Noche Los Gatos Son Pardos» et l’envie d’être libre au cinéma
© Vinca Films

Dans un entretien accordé à «Cineman» pour parler de son premier long-métrage, le cinéaste zurichois confie son envie de faire un film libre et expérimental pour aborder avec une légèreté bienvenue l’existence, l’amour et la sexualité.

(Propos recueillis à Locarno et mis en forme par Théo Metais)

Seul film suisse en compétition cette année au festival de Locarno, «De Noche Los Gatos Son Pardos» nous emmène sur le tournage d’un film libertin en costumes dans la campagne limousine. Comme un film dans le film, des perches de son apparaissent à l'écran, et nous voilà témoins du tournage, des répétitions. Actrices et acteurs se donnent la réplique, et bientôt, Valentin (le réalisateur y joue son propre rôle), disparaît mystérieusement. Une enquête se profile et l’équipe tentera à sa manière de terminer le film. Le cinéaste revient sur cette étonnante narration:

«Ce que je cherchais, c'était un mode de production et une forme de narration assez libres (...) C’est une quête de liberté et une manière d’être en relation avec le monde, qui me vient de la façon dont je le comprends, dont je comprends ce qui m’entoure. Si des points narratifs principaux étaient clairement posés, je ne voulais pas tout contrôler. Et il y avait dans ces zones grises l’envie de vouloir me laisser surprendre par la narration et par le tournage.»

Inspiré par les préceptes du psychanalyste français Félix Guattari (1930-1992), Valentin Merz dédouble et redistribue les rôles sur le tournage de son film. À l’image de Robin Mognetti, chef opérateur et amant du réalisateur dans le film, les comédien-nes et le personnel technique se mélangent et se retrouvent souvent être les mêmes personnes. Des nouvelles frontières se créent et «De Noche Los Gatos Son Pardos» devient le réceptacle d’un passionnant lâcher-prise. En découle une expérience du collectif au cinéma, une forme d’artisanat de l’incontrôle:

«L’improvisation a aussi été une manière de collaborer. Tout le monde passait systématiquement devant et derrière la caméra. Pendant le montage, je reprends quand même la main avec ma monteuse Andreea Vescan. On a structuré le récit. Mais c’est une forme d’écriture partiellement collective.»

Et Jean-Charles de Quillacq, qui incarne le rôle de l’inspecteur en charge de l’enquête, de poursuivre : «Quand on tournait des scènes, on avait très peu d’informations», nous dit-il. «On tournait des plans larges. Il y avait beaucoup d’improvisation, et c'est dans ces improvisations-là que Valentin piochait des choses. On les retournait ensuite en plans rapprochés, de manière plus affirmée. Et il en profitait pour nous faire dire aussi ce qu’il fallait absolument dire pour faire avancer l’intrigue.»

© Vinca Films

Un film contemporain, orgiaque, émancipé et qui réussit le pari de s’envoler au-delà de la simple recherche expérimentale pour finalement dévoiler quelque chose de profondément drôle et libérateur. Valentin Merz nous parle de cet équilibre délicat:

«Faire un film, c'est toujours un travail ardu, mais il fallait qu’on s’amuse. Ce plaisir particulier, il était déjà là au tournage. Et cette énergie était aussi le moteur au niveau du montage. Ça me fait très plaisir que ça soit partagé. Si on aborde des sujets existentiels, ou profonds, comme l’amour, la mort, la sexualité, ou même la création, il était primordial d’en parler avec une certaine légèreté. Le film est aussi une célébration de la vie, et ça tient aussi à ma vision des choses.»

Marie Lanne-Chesnot, productrice et actrice, continue : «Je pense qu’il y avait aussi une forme d’excitation collective de savoir où le film allait mener (...) Au bout de 16 semaines, on a déjà noué des relations. Il y avait une grande confiance les uns envers les autres pour porter la fiction»

Un œil attentif saura reconnaître les affiches de deux classiques du genre au visionnage de «De Noche Los Gatos Son Pardos»: «L'amant de Lady Chatterley» et «L'Invasion des morts-vivants». Des clins d'oeil à des références bienvenues selon le réalisateur :

«Le cinéma Rex que l'on voit dans le film, il existe vraiment. Il y avait plein de vieilles affiches. Il y a un film un peu érotique des années 70/80, à une époque où on sortait encore des films soft-porno dans les cinémas. C’est «L'amant de Lady Chatterley», et de l’autre côté, il y a le film de zombies, et c’est «L'Invasion des morts-vivants». Et cela permet de présenter deux de ces multiples genres que l’on voit dans ce film.»

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«De Noche Los Gatos Son Pardos» a quelque chose de crépusculaire. Le cinéaste profite d'un alter-ego, fantasme sa propre existence, et y met en scène sa propre disparition. Une expérience cinématographique un peu méta:

«Je voulais que les gens dans la fiction ne soient ni trop concernés, ni trop tristes. Mais j’ai quand même assumé qu’à partir du moment où je disparais, les choses deviennent un peu plus chaotiques. Ils décident de faire un autre film. Ils le prennent en charge et ils continuent. Ça miroite aussi l’idée de la prise en charge collective d’un projet, de mon projet, qui deviendra forcément autre chose en mon absence.»

«A un moment c’est un grand pari» nous rappelle le cinéaste. Ainsi, pour la conception de son premier long-métrage et au coeur d'une industrie complexe, le cinéaste a -t-il préféré créer sa propre maison de production. De quoi marquer son emprunte et s’imposer indépendamment :

«Si tu sais exactement ce que tu veux, et que les gens respectent ça, alors je pense que tu peux tout à fait travailler avec des producteurs établis. Mais je savais que pour ce film, il allait y avoir une part très importante de recherche. C’était important d’avoir une liberté complète, car il y avait des choses que l’on ne pouvait communiquer dès le début. Comment expliques-tu une recherche un petit peu radicale? Maintenant, je pense que ça sera un petit peu plus facile, parce qu'ils auront quelque chose à identifier.»

«De Noche Los Gatos Son Pardos» est à découvrir au cinéma dès le 19 octobre.

Bande-annonce

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