Interview23. August 2018

Spike Lee - «L’histoire de la haine aux États-Unis n’est pas nouvelle …»

Spike Lee - «L’histoire de la haine aux États-Unis n’est pas nouvelle …»
© 2018 FOCUS FEATURES LLC - Spike Lee & John David Washington

Dans les années 70, un officier afro-américain infiltre le Ku Klux Klan. L’histoire est invraisemblable et pourtant Ron Stallworth, premier officier noir du Colorado Springs Police Department, a dupé tout le monde. De passage à Berlin pour la sortie de «BlacKkKlansman», l’iconique réalisateur Spike Lee s’est confié sur la genèse de ce nouveau film avec Jordan Peele (Get Out), le Klan, le pensionnaire de la Maison-Blanche et les attaques à Charlottesville. Sujets sérieux mais ambiance décontractée !

(Berlin, le 16 Août 2018)

Spike Lee : C’est parti !

«BlacKkKlansman», un film génial qui en plus de ça remporte un certain succès critique. Certains disent que Spike Lee est enfin de retour !

Spike Lee : C’est des conneries (rires). Où est-ce que je suis allé ? (rires)

À quel point c’est important pour vous de savoir ce que pense la critique ou ce que les gens attendent d’un “film de Spike Lee” ?

Merci pour cette belle entrée en matière. Les gens ont des attentes, c’est vrai. Les gens aiment coller des étiquettes aux artistes et leur expliquer ce qu’ils doivent être ou ce qu’ils doivent faire; que l’on soit écrivain ou encore musicien. Mes parents m’ont toujours appris à ne jamais me laisser dicter ce que je devais être. Il ne faut pas trop s’en inquiéter. Les gens écriront de toute façon ce qu’ils veulent. En tant qu’artiste, cela fait partie du job. C’est quelque chose que j’ai appris. J’ai 61 ans et je ne laisse plus qui que ce soit me déconcentrer ! Ca y est, c’est fini ? (rires)

Dans «BlacKkKlansman», vous parlez de cet officier de police afro-américain qui décide un jour d'infiltrer le Ku Klux Klan. Comment avez-vous découvert cette histoire?

Jordan Peele m’appelle. Il me demande comment je vais, puis il explique qu’il a un truc qui pourrait bien m’intéresser. Un concept pour Hollywood en 6 mots : « Black Man Infiltrates Ku Klux Klan ». 6 mots ! Au début je n’y croyais pas mais il m’assure que c’est vrai. Son nom est Ron Stallworth. Il a écrit un bouquin, Jordan l’a acheté et il a pris Ron comme partenaire. Ils avaient aussi ébauché un scénario auquel j’ai pu jeter un coup d’oeil et c’est comme ça que tout a commencé.

David Duke (Topher Grace) © Universal Pictures Switzerland

Quelle a été votre première impression à la lecture du scénario? L’histoire est tellement incroyable.

Spike Lee : Pour être très honnête, je ne veux pas dire du mal des premiers scénaristes, mais il y a une raison pour laquelle Jordan Peele m’a appelé (rires). J’y ai apporté quelques modifications !

En 2017, le président américain a publiquement défendu les émeutes après les attaques à Charlottesville. Est-ce que selon vous, cela a changé l’histoire ?

Spike Lee : Je suis ravi que vous me posiez la question. Merci. Je crois que cela peut être l’un des moments les plus historiques de l'histoire des États-Unis. Quel que soit le pays, l’époque ou la crise, les citoyens regardent leur homme d’état. Peu importe qu’ils l’aiment, ils écoutent ce qu’il a à dire. Le président a parlé d’amour au lieu de parler de la haine et n’a demandé ni au Ku Klux Klan, ni aux groupes Neo-Nazis, ni à l’extrême droite de rendre des comptes… Il a essayé de tirer son épingle du jeu trois jours plus tard. Je ne vais pas dire son nom, je l’appelle l’ ”Agent Orange”, c’est pas de moi, c’est Busta Rhymes, mais quoi qu’il en soit, sa première réaction venait du coeur. Et les faits vidéos sont là, on a les images. Croyez moi, je connais Jordan, je connais George Lucas. Ce qui s’est passé à Charlottesville ce n’est pas du cinéma (rires). C’était lui, David Duke ! Il n’y a rien de fake. Ça s’est véritablement passé. Personne ne peut le nier. Pas même David Duke et encore moins l’ ”Agent Orange”.

Ron Stallworth (John David Washington), Flip Zimmerman (Adam Driver), Jimmy Creek (Michael Buscemi) © Universal Pictures Switzerland

Dans le film la phrase “Let’s make America great again”, prononcée par David Duke, raisonne comme un slogan. Il semble que les similarités avec notre époque ne viennent pas de nulle part.

Spike Lee : C’est ce que l’on essaye de faire. Même si le film se déroule dans les années 70, nous souhaitions placer des petits indices, des choses qui ressortent. “America First” ça n’a rien de nouveau, c’était le slogan du Klan dans les années 1920 contre l’immigration. L’histoire de la haine aux États-Unis n’est pas nouvelle. Elle est cachée, dissimulée ou encore maquillée si vous voulez, mais ça reste de la haine. Ce gars à la Maison-Blanche, il nie connaître David Luke. Ces gars mentent et ils n’ont aucune honte.

Est-ce que le véritable Ron Stallworth était impliqué dans le film? Vous a-t-il guidé sur le tournage ?

Spike Lee : Non, il n’a jamais été sur le tournage avec nous mais il était là pendant la pré-production, quand on réécrivait le scénario. C’est un homme formidable, un héros américain. Et il a passé le plus clair de son temps avec John David Washington. Ils avaient une relation très fusionnelle.

Ron Stallworth (John David Washington) © Universal Pictures Switzerland

Comment expliquez-vous que le film «Birth of a Nation» de 1975 qui est montré dans le film soit encore autorisé? Certains pensent que c’est un chef-d’oeuvre.

Spike Lee : C’est un fait. D’autres considèrent que «Triumph of the Will» est aussi un chef-d’oeuvre ! Leni Riefenstahl ! Pour certains ce sont des chefs-d'oeuvre en effet. Quand j'étudiais encore le cinéma, on nous a montré «Birth of a Nation». On nous a parlé de D. W. Griffith et de son invention du Film Grammar. Très bien ! Mais mon problème le voici, notre professeur ne nous a jamais parlé des implications politiques et sociales de ce film. Ce film est responsable de la régénérescence du Klan. En terme de réalisation, on peut en effet considérer que c’est un bon film. La cérémonie en clôture du premier Star-Wars (1977) est d’ailleurs en référence au film «Triumph of the Will». Si je prends «The Last Tango» par exemple, c’est un chef-d'oeuvre de mon point de vue. Kevin Spacey est aussi un acteur génial par exemple. Maintenant la question est de savoir si l’individu est capable de faire la distinction entre l’art et l’artiste. Mais je ne dirai jamais qu’il ne faut pas voir «Birth of a Nation». Il serait aussi stupide de boycotter «Huckleberry Finn» de Mark Twain à cause du mot “nigger”, ou encore «To Kill a Mockingbird» de Lee Harper à cause de quelques formules inappropriées. Tout est une histoire de contexte.

Au cinéma depuis le 22 Août. Toutes les informations sur BlacKkKlansman.

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