Critique18. Juli 2022

Netflix Critique : «Persuasion» - Bridget Jones chez Jane Austen

Netflix Critique : «Persuasion» - Bridget Jones chez Jane Austen
© NICK WALL/NETFLIX

Se voulant une adaptation moderne de la lutte que mène l’héroïne contre les normes sociales de la Régence anglaise tout en restant fidèle au texte de Jane Austen, «Persuasion» raconte l’histoire d’Anne, 27 ans, qui retrouve son ancien amour.

(Critique de Laurine Chiarini)

Sorte de Bridget Jones de bonne famille de la fin de l’ère géorgienne, seconde mal aimée entre une aînée au physique avantageux et une benjamine à la santé délicate au centre de toutes les attentions, Anne Elliot (Dakota Johnson) noie son chagrin dans le vin rouge, qu’elle boit à la bouteille. D’un esprit vif, gaffeuse et pétillante, elle n’en porte pas moins le poids d’un lourd chagrin : 8 ans auparavant, profondément amoureuse d’un officier de la marine sans fortune, sa famille l’avait persuadée de rompre la relation, alors vue comme sans avenir.

Dans le roman, c’est à cette rupture que remonte l’origine du titre : étouffée dans le carcan des normes de son époque, incapable de résister face aux pressions de son entourage, pour lequel l’amour, logiquement, pesait bien peu dans la balance, risquant d’être mise au ban de la société, Anne avait été trop facilement « persuadée » (entendre : obligée) de se conformer à ce que l’on attendait d’une jeune femme de son rang.

Dans le film, la persuasion en question n’est qu’un lointain souvenir, effleuré par un rapide flashback : l’enjeu tient dans l’hypothétique reconquête du capitaine Wentworth (Cosmo Jarvis), que les hasards de la vie ont fait revenir vers Anne, mais qui ne va pas se faire sans contrariétés ni malentendus. Peuplé de personnages plutôt bien joués, parfois stéréotypés, mais drôles – mention spéciale pour le père odieux (Richard E. Grant) et la petite sœur totalement imbue d’elle-même (Mia McKenna-Bruce), le film tient tout d’une comédie romantique à l’américaine, traversé de gags et autres piques dont l’héroïne gratifie son entourage.

Netflix Critique : «Persuasion» - Bridget Jones chez Jane Austen
Cosmo Jarvis dans le rôle Captain Frederick Wentworth © NICK WALL/NETFLIX

S’adressant directement à la caméra, Anne se fait narratrice de son propre quotidien, brisant ainsi le « quatrième mur », effet qui consiste, pour un personnage, à s’adresser directement à l’audience. Le résultat, qui se veut le plus souvent comique, instaure une sorte de complicité forcée un peu artificielle entre la protagoniste et celui ou celle qui la regarde. Le revers de la médaille est qu’un tel choix narratif, en annonçant ce qui est sur le point d’arriver ou en soulignant au contraire ce qui vient de se passer sur le mode de « je vous l’avais bien dit », sape une partie de l’impact de la scène suivante quand il n’amoindrit pas celui de la scène précédente.

Décriée quasi-unanimement dans la presse anglophone, où certains avis font état de «la pire adaptation d’un roman de Jane Austen» à ce jour, cette interprétation de «Persuasion» a en revanche été reçue avec davantage d’indulgence dans l’Hexagone. Classique des cours de littérature en Grande-Bretagne et outre-Atlantique, il est probable que le spectateur de langue anglaise, s’étant frotté au texte original à un moment ou à un autre de son cursus scolaire, affiche une aversion plutôt sévère – et totalement assumée – du premier long métrage de la metteuse en scène et réalisatrice britannique Carrie Cracknell.

Le reproche principal ? Avoir totalement dénaturé une héroïne qui, de réservée, sensible et timide chez Austen, devient extravertie, fougueuse et piquante à l’écran. Utilisant des expressions dignes du langage des réseaux sociaux sans pour autant renoncer à une adaptation d’époque en costumes, le résultat navigue entre anachronisme discordant et conformité aux normes sociétales spécifiques à l’époque de l’auteure. Même si les amateurs de littérature préféreront retourner au texte original, le film offre un moment de divertissement entre les falaises de l’est du Devon et les façades à colonnes de la ville de Bath.

3/5 ★

Disponible sur Netflix.

Bande-annonce

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