Interview16. November 2021

Entretien avec Jérémie Renier - « Ce que traverse mon personnage, je le traversais vraiment »

Entretien avec Jérémie Renier - « Ce que traverse mon personnage, je le traversais vraiment »
© Pathé Films AG

Une carrière commencée à quinze ans au pays merveilleux des frères Dardenne. Les frangins lui seront fidèles et puis sa route croisera Olivier Van Hoofstadt, François Ozon, Cloclo, Pierre Bergé. À 40 ans, Jérémie Renier s’est construit une cinématographie élégante, engagée, faite de cinéma d’auteur et de perles fascinantes. Un artiste visuel flottant parmi les genres, et le voici dans « Albatros » au cœur d’une gendarmerie au bord des plages d’Étretat et d'un drame qui changera sa vie à jamais. Nous l’avons rencontré.

(Propos recueillis par Theo Metais au festival du film de Berlin)

Au cinéma depuis le 10 novembre, dans « Albatros », le cinéaste Xavier Beauvois prend par le col l’histoire d’un sous-officier de gendarmerie normand au seuil d’une bavure qui changera sa vie à jamais. Incarné par un solide Jérémie Renier, l’acteur marchait en terres inconnues, et pourtant : « C’était assez agréable, car on a tourné le plus possible en chronologie » nous dit-il « ce que traverse mon personnage, je le traversais vraiment. Et j’ai eu la chance de pouvoir préparer le film en amont, en étant immergé dans la gendarmerie que l’on voit dans le film, avec ces gendarmes. J’ai beaucoup appris, j’ai observé (...) ».

« Je suis tombé en hypothermie, on a dû arrêter le film à un moment... »– Jérémie Renier

Une volonté de réalisme pour dépeindre la déchéance du monde paysan au cœur de cette histoire, et de celui qui aimerait être un bon père, un bon époux, un ami et un bon sous-officier de gendarmerie. « Je suis une sorte d’éponge qui essaye au mieux d’écouter l’humain en face de moi. J’ai passé beaucoup de temps avec Geoffroy Sery, qui interprète ce fermier agriculteur. C’est quelqu’un d’extrêmement intelligent et qui a traversé pas mal d’épisodes puissants dans sa vie. Et c’était très enrichissant de voir ce qu'il se passe réellement, comment il le vit. Un tas de choses nous dépasse, mais comme dans chaque métier en fait. Pour moi les gendarmes avaient un costume et étaient dans un rapport factuel au monde. Et j’ai découvert des humains derrière un uniforme, et je dois dire que c’était très enrichissant. On a tous des idées préconçues sur les hommes et leurs métiers. De les rencontrer réellement dans leur domaine ça change tout. Être curieux, c'est primordial. »

Entretien avec Jérémie Renier - « Ce que traverse mon personnage je le traversais vraiment »
La gendarmerie dans « Albatros » © Pathé Films AG

Un film qui se fait le réceptacle de biens des observations sociétales, la rude réalité de nos contrées agricoles, le quotidien d’un commissariat évidemment, et puis d’autres ellipses se glissent : « Xavier est très au fait de ce qu’il se passe dans le monde. Et si par exemple il y a eu des manifestations, notamment celles des gilets jaunes, il va vouloir l’incorporer dans ses films. Il incorpore ce qu’il vit, et ce qu’il perçoit en tant qu’humain. ». D’ailleurs chez Beauvois tout est ouvert « C’était très libre, car on a tourné avec beaucoup de non-professionnels et donc il faut gérer ça et aussi laisser la place à l’improvisation. On peut tout à fait imaginer d’un coup changer une scène, car il y a eu quelque chose dans l’actualité qui l’interpelle et il veut intégrer dans le film. Pour lui, le scénario est une base et puis il y a la création du tournage. »

« Ce que traverse mon personnage je le traversais vraiment... »– Jérémie Renier

Un cinéma attentif au monde qui l’entoure, et qui y puise son inspiration dans l’énergie de l’instant et la spontanéité de ses équipes. « Xavier répète très peu, ça l’ennuie. Je pense qu’il aime l’énergie de l’action. (…) ». Et si « Albatros » surprend, c’est aussi d’être à l’écoute de ces univers si proches et si singuliers. « J’étais sur place pendant 3 ou 4 mois. Et c’est sûr que l’on a aussi parlé du beau temps, qu’on a déconné. C’était important aussi. Certains gendarmes sont devenus une famille, des amis, mais effectivement on suivait aussi d’autres sujets et je les écoutais, avec leur vision et leur parcours. Être à l’écoute et essayer de comprendre l’autre, c’était important. Et à chaque niveau d’ailleurs. Quelle que soit la classe sociale ou la fonction. »

Entretien avec Jérémie Renier - « Ce que traverse mon personnage je le traversais vraiment »
Geoffroy Sery dans « Albatros » © Pathé Films AG

Des sujets délicats, brulants, clivants parfois et qui rappellent l’importance du faire du cinéma et de l’art engagé. « Faire de l’art déjà, ça c'est important ! Mais c’est vrai que j’ai toujours été touché par le cinéma engagé. Je trouve ça primordial que l’art puisse être un gage de plaisir, mais aussi de réflexion et de prise de conscience. On traverse là une période difficile, comme on en a traversé avant, et comme on en traversera plus tard. Mais d’avoir une réflexion sur la condition humaine, et ce que traverse l’humain dans toute sa complexité, c’est important.»

« On a tous des idées préconçues sur les hommes et de leurs métiers... »– Jérémie Renier

Et pour dépeindre les méandres de la condition humaine, l’acteur n’a pas froid aux yeux. Après cette bavure qui pèse inlassablement sur les épaules de son personnage, Malbrough s'en va-t-en mer, pour fuir le monde et penser loin des côtes. « Je n’avais jamais fait de voile avant. J’ai appris avec un coach qui m’a poussé. C’était d’ailleurs très agréable, et je suis tombé amoureux de la voile et de la navigation grâce au film. Je faisais corps avec ce bateau. En y passant beaucoup de temps, j'ai eu beaucoup d’idées. Car à l’écriture, le bateau était beaucoup moins présent que ce qu’il est dans le film. Ces traversées, c’est quelque chose que l’on a construit avec Xavier. Ça a été très riche, très intense.» Et le réalisme de Xavier Beauvois n’est jamais loin. « On a tourné presque un mois sur ce bateau, dans des conditions parfois très difficiles, parce qu’encore une fois Xavier voulait une forme de réalisme et que la tempête soit réelle. Alors on l’a quand même recréée à un moment, mais dans des conditions particulières parce que l’on était en décembre avec -15 degrés. Je suis tombé en hypothermie, on a dû arrêter le film à un moment. Mais tout ça aide le personnage et la situation à être au plus vrai. Et j’ai pris beaucoup de plaisir à souffrir (rires). »

Depuis le 10 novembre au cinéma. Plus d'informations sur «Albatros».

Bande-annonce de «Albatros»

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