Critique9. August 2021

74e Festival du film de Locarno : «Vortex» - La déchéance en binoculaire

74e Festival du film de Locarno : «Vortex» - La déchéance en binoculaire
© Xenix Filmdistribution GmbH

«Ce film peut être vu autant par des enfants que des vieux ; c’est mon premier film tout public, et pourtant, c’est le plus dur que j’ai fait». S’étirant sur près de deux heures et demie, traitant de la déchéance inéluctable qui accompagne l’avancée du 4ème âge, pas sûr que «Vortex» trouve un aussi large public en salles.

(Critique de Laurine Chiarini)

Tourné en quelques semaines en plein Covid, l’histoire retrace les dernières semaines de la vie d’un couple d’octogénaires parisiens : elle, atteinte par la maladie d’Alzheimer, erre dans sa tête et se perd dans les rues. Lui, patient, mais pas imperturbable, tente de terminer un livre sur les rêves au cinéma. Au milieu, leur fils, conciliant comme il le peut, mais bien impuissant.

Une réalité universelle brute et sans fard, empathique, mais pas larmoyante, d’une clairvoyance douloureuse...– Laurine Chiarini

Tourné sur des dialogues improvisés, le film offre une place de choix aux performances de Françoise Lebrun, Alex Lutz et Dario Argento, qui joue le père. À 80 ans, c’est la première performance d’acteur pour le réalisateur italien : alors que les interventions précédant les projections de ses films étaient applaudies comme un spectacle de one-man show, Gaspar Noé s’était demandé pourquoi Dario Argento n’avait jamais été utilisé comme acteur. Le décor, un appartement aux couloirs labyrinthiques tapissé d’affiches et rempli de livres, représente la vie du couple, un passé que le père refuse de quitter lorsque survient la question du déménagement en maison de retraite alors que son épouse, désorientée, ne reconnaît plus son propre foyer.

© Xenix Filmdistribution GmbH

Personne n’échappe au dilemme de la vieillesse ; entre désespoir, impuissance et résignation, chacun y fait face à sa manière. Là où «Amour» de Michael Haneke dépeignait une décision – et une réaction – radicales face à une fin inexorable, «Vortex» accompagne patiemment le difficile cheminement du désapprentissage. Ainsi se pose la délicate question du libre arbitre : à quel moment une personne, qui visiblement représente une menace pour elle-même, peut-elle être contrainte pour son propre bien ? N’importe qui peut, un jour, se retrouver à jouer les parents de ses propres parents, situation contre nature et point de bascule sans retour dans laquelle se retrouve le fils, lui-même empêtré dans des problèmes d’addiction.

À 80 ans, c’est la première performance d’acteur pour le réalisateur argentin...– Laurine Chiarini

L’écran est divisé par l’utilisation d’un split screen. Remplaçant le traditionnel champ / contrechamp, une telle méthode permet de rendre de manière plus fidèle le point de vue propre à chaque personne. Mais le split screen, c’est également la cassure entre les deux univers inconciliables du mari et de la femme : alors qu’ils partagent le même appartement, chacun évolue dans son propre monde spirituel. Couplée à l’absence – volontaire – de directives du réalisateur, cette façon de diviser en deux mondes un seul espace donne lieu à des moments puissants purement accidentels, comme lorsque la mère, se mettant à pleurer, semble dominer l’espace dans un quasi-dédoublement alors que son époux lui saisit la main.

74ème Festival du film de Locarno : «Vortex» - La déchéance en binoculaire
Dernier film de Gaspar Noé sorti en Suisse, «Climax» (2018) racontait la dernière soirée d'une troupe de danse et leur sangria pour le moins déroutante. © Xenix Filmdistribution GmbH

De nature presque documentaire, mais d’accès difficile, «Vortex» a le mérite de dépeindre une réalité universelle brute et sans fard, empathique, mais pas larmoyante, d’une clairvoyance douloureuse à laquelle le monde moderne refuse de faire face. Sur fond d’émissions de radio faisant office de « voice-over » intermittente et traitant ironiquement du processus de deuil, le père se plaît à citer une phrase d’Edgar Allan Poe, qui à elle seule résume l’absurdité de l’existence tout en la rendant supportable : la vie n’est-elle pas un rêve dans un rêve ?

3,5/5 ★

Bientôt au cinéma. Plus d'informations sur «Vortex».

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