News1. Februar 2023

58e Journées de Soleure : le cinéma suisse se politise

58e Journées de Soleure : le cinéma suisse se politise
© Journées de Soleure

Selon Niccolò Castelli, nouveau directeur artistique des Journées de Soleure, le cinéma suisse se politise de plus en plus. La 58e édition du festival, qui a eu lieu du 18 au 25 janvier dernier, semble lui donner raison.

(Un article de Teresa Vena)

«This Kind of Hope» en ouverture des 58e Journées de Soleure

Tout commence avec le film d'ouverture «This Kind of Hope» du cinéaste Pawel Siczek qui raconte l’histoire d’Andrei Sannikov, ancien diplomate biélorusse. Sous Alexandre Loukachenko, président de la République de Biélorussie depuis 1994, Sannikov a d'abord été expert aux affaires militaires et ministre des Affaires étrangères avant de démissionner et de se tourner vers l’opposition en guise de protestation contre le régime dictatorial.

58e Journées de Soleure : Quel est l’engagement du cinéma suisse ?
«This Kind of Hope» de Pawel Siczek © Journées de Soleure

Alors qu’il prend connaissance des méthodes peu farouches de Loukachenko, Sannikov, sa femme et son entourage se retrouvent emprisonnés pour des raisons futiles. Et même après sa libération, il refuse de se soumettre et choisit finalement l'exile pour éviter de mettre sa vie et celle de sa famille en danger.

Lors de sa projection dans la Rythalle, la salle était comble...– Teresa Vena

Le réalisateur suisso-polonais Pawel Siczek raconte l'histoire de cet homme qui, malgré les défis de sa vie, est resté un idéaliste tout en ayant les pieds ancrés fermement dans la réalité. Le film n'est pas seulement un portrait pertinent, mais il renvoie aussi à la situation actuelle en Ukraine et aura, à cet égard, particulièrement touché le public de Soleure.

Lors de sa projection dans la Rythalle, la salle était comble, puis un silence s’est installé après le générique de fin. L'atmosphère était morne, mais admirative. En témoignent les applaudissements qui accueillirent les membres de la distribution lors de leur montée sur scène. Le réalisateur et les organisateurs du festival étaient émus.

58e Journées de Soleure : Quel est l’engagement du cinéma suisse ?
«This Kind of Hope» de Pawel Siczek © Journées de Soleure

Un pays comme la Suisse a la possibilité de prendre position...– Niccolò Castelli

Prise de position

«Un missile n’a besoin que de quelques secondes pour atteindre la Suisse», nous rappelle Sannikov. «Il faut rester conscient de notre position particulière», a déclaré Castelli. «Un pays comme la Suisse a la possibilité de prendre position. Les cinéastes suisses partagent le point de vue occidental sur le monde. En tant que Suisses, nous avons la responsabilité de nous rapprocher des choses et de scruter les détails, sans nous contenter de pointer, de façon trop simple et superficielle, les coupables du doigt.»

Une responsabilité prise au sérieux, comme le montrent les films des différentes rubriques du festival – aussi bien des documentaires que des œuvres de fiction. Il est plutôt inhabituel d'ouvrir un festival avec un film aussi politique. Souvent, sont préférées des œuvres dites plus «légères», qui permettent «une pause de la vie qui se déroule en dehors des cinémas», nous rappelle Niccolò Castelli dans son discours d’ouverture.

58e Journées de Soleure : Quel est l’engagement du cinéma suisse ?
«This Kind of Hope» de Pawel Siczek © Journées de Soleure

Mais «This Kind of Hope» fonctionne plutôt comme un film qui devrait nous aider à répondre à la question «quelle est ma place dans la vie ?». Une question que le réalisateur Pawel Siczek reprend à sa cause alors qu’il déclare sur scène : «Je suis souvent désorienté dans la vie, j'essaie de m'y retrouver. C'est pour cela que je fais des films».

Films sur des thèmes sociaux

À Soleure, s’il était aussi possible de découvrir des films plus décontractés, comme «Mad Heidi» de Johannes Hartmann et Sandro Klopfstein ou la comédie «Les Belles Années» de Barbara Kulcsar, des thèmes socio-politiques étaient abordés dans les différentes catégories, comme dans le film lauréat du Prix du public, «Anime – Held auf Bewährung» de Dani Heusser. Le cinéaste a réalisé un documentaire sur Amine Diare Conde, demandeur d'asile guinéen qui habite en Suisse.

«Mad Heidi» de Johannes Hartmann et Sandro Klopfstein© Praesens-Film

Ainsi, les documentaires et les œuvres de fiction de Soleure offrent différentes façons de refléter la réalité.

Lionel Baier dans «La dérive des continents (au sud)», par exemple, invente une histoire fictive dans une réalité possible. Dans son film, un camp de réfugiés en Italie devient la scène d'un spectacle rempli de vanités et présente certaines des absurdités de la politique européenne. Et c'est un réalisateur suisse qui en parle ? Quel rôle lui revient-il, alors que la Suisse est souvent considérée comme un simple spectateur des enjeux politiques internationaux ?

Les cinéastes ne sont pas des ambassadeurs...– Lionel Baier

«Les cinéastes ne sont pas des ambassadeurs, donc notre rôle n’est pas de porter la voix de la Suisse. Quand je fais un film, je ne pense jamais à mon pays. C’est d’ailleurs l’honneur de celui-ci de ne pas m’obliger à avoir un point de vue helvétique. Néanmoins, je suis sûr qu’ayant grandi en Suisse, ma vision du monde est affectée. (…) Nous n’avons pas officiellement eu de colonies, nous n’avons pas officiellement était en guerre ces derniers temps. Cela nous donne forcément un autre point de vue sur le monde. Comme Suisse romand, je sais aussi que j’appartiens à une minorité, que le français est une langue marginale au niveau international. Cela me rend peut-être plus sensible aux questions des minorités.», dit Baier.

Quelle est la différence entre le documentaire et le film de fiction ? Le réalisateur répond : «La fiction est en prose, le documentaire est en vers. C’est la même différence qu’il y a entre le roman et la poésie. Mais chaque fois, il s’agit d’un point de vue subjectif sur une histoire.»

«Les Belles Années» de Barbara Kulcsar© Filmcoopi

La représentation de la guerre

Enfin, le festival a donné une plateforme particulière aux œuvres qui traitent de la guerre, dans des œuvres de fiction, comme «A Forgotten Man» de Laurent Nègre, ou dans des documentaires. Dans le cadre des rencontres «Fare Cinema», le directeur artistique du festival a invité à se plonger dans une série de discussions publiques sur les raisons et la façon de représenter la guerre.

Ainsi, le jeune réalisateur Jan Baumgartner, présent avec son film «The DNA of Dignity», raconte avoir d'abord pensé devenir photographe de guerre, avant de choisir le cinéma. Dans son film, il se penche sur la guerre du Kosovo, ne précisant ni les noms ni les lieux, pour ne pas directement cibler les coupables. Si les années ont passé, le trauma reste papable chez les protagonistes. Baumgartner pense en effet que sa responsabilité en tant qu'observateur externe est justement d'essayer d'introduire de nouvelles perspectives à celles déjà existantes et de soulever des questions qui ne seraient peut-être pas possibles de poser depuis l'intérieur.

58e Journées de Soleure : Quel est l’engagement du cinéma suisse ?
«A Forgotten Man» de Laurent Nègre © Xenix Film

De son côté, dans «Trained to See – Three Women and the War», Luzia Schmid reconstruit, avec du matériel d'archive, la vie de trois femmes journalistes durant la Seconde Guerre mondiale, un travail encore minoritairement effectué par des femmes. Son film montre, à juste titre, l'importance d’une perspective cinématographique sur les faits.

Parmi les hommes qui ont exercé le métier de journaliste de guerre, il y a Werner van Gent, originaire des Pays-bas, mais qui a vécu une grande partie de sa vie en Suisse. Michael Magee lui a dédié un documentaire. À Soleure, il partage son expérience de la guerre et a insisté sur le fait que, pour lui, le journalisme, et l'art encore plus, doit garder en tête l’obligation de toujours illustrer la pluralité du réel. Car une vue globale est nécessaire. Laisser parler les gens concernés ne peut être qu'une partie d’un travail à compléter par des points de vue plus large.

C'est peut-être exactement là que les auteurs et autrices suisses peuvent intervenir en s'efforçant, depuis l'extérieur, d'avoir une vision aussi «neutre» que possible, en gardant en tête que nous ne sommes jamais aussi exclus des événements que nous le croyons.

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