Interview16. Mai 2022

Entretien avec Gaspar Noé : « C'est universel, cela arrive dans toutes les familles, alors, il faut en parler ! »

Entretien avec Gaspar Noé : «  C'est universel, cela arrive dans toutes les familles, alors, il faut en parler ! »
© Viktoria Grünwald

Le dernier film de Gaspar Noé, «Vortex», révèle les dures réalités, souvent refoulées, liées à la vieillesse. Dans un entretien intime, le réalisateur franco-argentin entre dans les détails de son œuvre.

(Entretien effectué en anglais par Ben Lupini, retranscrit par Zoë Bayer, Traduit par Maxime Maynard)

Dans «Vortex», nous suivons les dernières semaines de la vie d'un couple d'octogénaires parisiens. Elle (Françoise Lebrun), atteinte d'Alzheimer, se perd dans sa tête et dans les rues de la ville. Lui (Dario Argento), tente de terminer l'écriture d’un livre sur les rêves au cinéma et refuse de faire face à son propre vieillissement.

Entretien avec Gaspar Noé : « C'est universel, cela arrive dans toutes les familles, alors, il faut en parler ! »
Alex Lutz, Francoise Lebrun et Dario Argento dans «Vortex» © Xenix Film

«Vortex» est un film puissant et marquant. Comme pour la majorité de vos projets, vous avez travaillé sans réel scripte. Mais comment réussissez-vous à convaincre les producteurs ?

Trouver des financements pour les films sans scénario est difficile. J’avais écrit dix pages pour ce film en janvier 2021, mais mes producteurs m'ont dit : «Avec trois personnages, tu peux tourner le projet en quatre semaines. On pourra le payer et ensuite trouver quelqu'un qui voudra l’acheter.»

Pour obtenir le financement d'un film sans scénario, il faut une certaine confiance. Heureusement, mes producteurs avaient assez d'argent en poche et ont cru en moi. Tout le processus d'écriture du film, le tournage, le montage et la livraison ont pris moins de six mois, c'était extrêmement rapide. Mais j'aime travailler vite. C’est une chose incroyable de terminer un film en si peu de temps. Parfois, la distribution et la promotion du film durent beaucoup plus longtemps que le processus créatif lui-même.

Entretien avec Gaspar Noé : « C'est universel, cela arrive dans toutes les familles, alors, il faut en parler ! »
Francoise Lebrun et Alex Lutz dans «Vortex» © Xenix Film

Comment avez-vous développé l’histoire ?

Sur le plateau, nous avons tourné avec un scénario de trois pages, le seul support que nous avions. Les douze scènes de la répétition étaient écrites sur un quart de page. Elles étaient ensuite développées sur le plateau avec les acteurs. Durant les répétitions, j’étais à la caméra. Ça devenait une sorte de jeu collectif. On développait les scènes à partir de mes propres idées, mais aussi de celles du directeur de la photographie, des acteurs et de l'assistant réalisateur. Je me sens plus en confiance de cette façon. Je ne serais pas à l’aise avec des dialogues écrits et créés à partir de mon seul vocabulaire. Ça n’aurait rien de spécial. Je ne peux pas inventer quatre manières de parler pour quatre personnages différents.

De plus, je pense que travailler avec un scénario complet bloque le cerveau. Par exemple, Dario Argento, qui est un réalisateur très charismatique, n'a pas forcément une très bonne mémoire. Je crois qu’il a accepté de jouer dans ce film, d’abord parce qu'il aime mes films, mais surtout parce que je lui ai dit : «Je ne vais pas te donner une seule ligne à apprendre. Tu vas utiliser ton propre français. Tu prends soin de ton personnage, je m'occupe de ma caméra.» Si je lui avais donné des phrases à apprendre, il aurait sûrement refusé.

Je pense que la mort peut aussi être un moyen positif de s’échapper d’une certaine décadence physique ou mentale.– Gaspar Noé

Je trouve qu'il est beaucoup plus facile de laisser les gens parler devant la caméra avec leurs propres mots et leur propre langage corporel. C’est pour cette raison que beaucoup de gens trouvent que le film ressemble à un documentaire. Le jeu des acteurs reste libre et naturel. Même si vous n'en êtes pas conscient, lorsque vous regardez un film avec des dialogues écrits, vous pouvez voir que les acteurs reproduisent quelque chose. Ce n'est pas aussi fluide qu’une création devant la caméra.

Entretien avec Gaspar Noé : « C'est universel, cela arrive dans toutes les familles, alors, il faut en parler ! »
Dario Argento et Francoise Lebrun dans «Vortex» © Xenix Film

Une autre spécificité de votre œuvre est cet écran en permanence divisé en deux. Comment l’idée vous est-elle venue ?

Je savais avant le tournage que je voulais utiliser un écran partagé en deux. C’est une technique que je connais bien pour l’avoir déjà utilisée plusieurs fois dans de précédents projets et je pensais que ça marcherait bien avec ce film. Mais je voulais jouer un peu plus avec cette idée, l’utiliser dans une scène, puis avoir un écran unique dans une autre. Le premier jour, nous avons tourné un passage avec une seule caméra et un autre avec deux. Le lendemain matin, j'ai regardé les images du premier jour de tournage et j'ai vu que celui avec deux caméras était beaucoup mieux. Et même si je voulais filmer certaines scènes avec une seule, j’ai quand même décidé de tourner avec deux caméras, au cas où je changerais d’avis. C'était une bonne idée, le sentiment de claustrophobie en devient plus intense.

Entretien avec Gaspar Noé : « C'est universel, cela arrive dans toutes les familles, alors, il faut en parler ! »
Francoise Lebrun, Alex Lutz et Dario Argento dans «Vortex» © Xenix Film

Pourquoi avoir choisi de parler de la mort dans le cercle familial?

J'ai été dans une situation similaire avec ma mère, et j’ai moi-même eu un accident, il y a deux ans, qui aurait pu me laisser avec de graves lésions cérébrales, heureusement ça n’a pas été le cas. Même si le film n'est pas autobiographique, je n'ai pas d'enfants et j'ai une sœur, je me suis senti quand même très connecté au personnage de Françoise Lebrun.

Je pense que la mort peut aussi être un moyen positif de s’échapper d’une certaine décadence physique ou mentale. La mort de ma mère a été une porte vers une situation bien meilleure. Il n’y avait pas vraiment de solution préférable à celle-ci. La voir mourir a été douloureux, mais ce n’était pas une mauvaise conclusion, au contraire, c'était très naturel.

Pour obtenir le financement d'un film sans scénario, il faut une certaine confiance.– Gaspar Noé

Pour m’éloigner de ma propre histoire, j'ai pensé qu'il serait bon de mettre en scène la mort du père. La situation en devient aussi plus dramatique. C’est lui le «protecteur». Il s’occupe d’elle alors qu’elle s’affaiblit lentement, et pourtant, c'est lui qui meurt le premier. Alors qu’elle n’avait jamais dit «mon chéri» avant, elle se met à le prononcer en le cherchant partout. Une sorte de drame dans le drame. Et comme à la suite de la mort de ma mère, j'ai eu l'impression que quelque chose manquait dans l'espace qui m'entourait, j’ai eu l'idée de cette moitié d'écran vide.

Entretien avec Gaspar Noé : « C'est universel, cela arrive dans toutes les familles, alors, il faut en parler ! »
Dario Argento et Francoise Lebrun dans «Vortex» © Xenix Film

L’écran est vide, mais aussi l’appartement. Le voir à la fin vous donne un vrai sentiment de claustrophobie.

Oui, beaucoup de gens m'ont dit qu'en plus des personnages principaux, ils voyaient l'appartement comme une entité à part entière. À la fin du film, on assiste aussi à sa mort, et de nombreuses personnes m'ont dit que pour elles, c’était le moment le plus dramatique de tout le film.

De même, la consommation répétée de drogues du fils après la perte de ses parents montre, pour beaucoup, l'impact que la mort peut avoir sur les êtres chers.

Le sujet de «Vortex» est important. Il est nécessaire d’en discuter avec vos proches le plus tôt possible. C'est une conversation primordiale à avoir avant que quelque chose ne se produise. C'est universel, cela arrive dans toutes les familles, alors, il faut en parler !

Plus d'informations sur le film « Vortex » de Gaspar Noé ici

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