Review23. Januar 2020

«A tale of three sisters» - Un conte onirique enserré au milieu des montagnes

«A tale of three sisters» - Un conte onirique enserré au milieu des montagnes
© Trigon Films

Présenté en compétition à la Berlinale en 2019, «A tale of three sisters», dernier long-métrage du réalisateur Emin Alper, est une fable venue des cimes isolées d'Anatolie centrale; le destin croisé de trois sœurs dans un modeste village, alors que leurs rêves en ville s'envolent.

Elles s’appellent Reyhan (20 ans), Nurhan (16 ans) et Havva (13 ans) et vivent enserrées au milieu des rocheuses d'Anatolie centrale. Alors que leur père s’est employé, sans succès, à les placer en ville comme «beslemes» (filles adoptives et servantes), les voilà de retour au village, contraintes aux bassesses ménagères. A Tale of Three Sisters est fait du sel d’un conte fantastique, serti d'onirisme et de réalisme, pour nous conter une chronique familiale fragile. Entre illettrisme, mariage forcé et une gérontocratie ancestrale, se dévoile pourtant une légère note d’espoir.

Reyhan (Cemre Ebuzziya) est rentrée au village alors qu’elle était enceinte et a rapidement été mariée à Veysel (Kayhan Açikgöz), un berger illettré. Nurhan (Ece Yüksel) est renvoyée de la famille du médecin Necati après une altercation avec l’un de ses enfants, et alors qu’elles viennent de perdre leur mère, les trois sœurs se retrouvent à la botte de leur père, dans ce village coupé du monde, ou rien de subsiste, sinon l’âge et la folie. Emin Alper entame son métrage par une entrée dans la roche, sinueuse, caméra au capot, une voiture s’avance dans l’immensité de pierre qui attend Havva, elle aussi ramenée au village. Et déjà, «A tale of three sisters» s’offre une photographie onirique époustouflante pour un huis clos parmi les montagnes.

«Une fable onirique contemporaine...»– Théo Metais

Trois sœurs au bord de la crise de nerfs, il suffira de voir leurs retrouvailles; et alors que la plus âgée tente d’écrire une lettre à sa Tante à Ankara pour la rejoindre, son père lui flanque à la tronche un «N’oublie pas ton mari, sinon il te pleurera !». Dès lors, il lui faudra se taire, comme les autres, et préparer le Ayran pour Mr Necati, celui-là même qui vient de renvoyer Nurhan souffrante, et qui pourtant se fait accueillir en pacha. La jeune sœur ne put être à la hauteur, une honte pour son père, «elle sera punie comme il se doit!» entendra-t-on, et pourtant rien n’y fait.

«A tale of three sisters»
«A tale of three sisters» © Trigon Films

Et à mesure que l’hiver approche, les humeurs s’effritent et la santé de Nurhan inquiète (surtout ses sœurs). «A tale of three sisters» expose avec une diligence propre au rêve le sort de trois sœurs et le prédéterminisme qui les frappe, et Veysel de devenir fou. Son parcours, et les aveux à demi-mots des sœurs composent la véritable trame dramatique du récit et Emin Alper ne manque pas quelques scènes percutantes, cauchemardesques, enluminées, terrifiantes; on pense notamment à l’urine sur la tombe, les larmes d’Havva, ou la biture des hommes à la tombé de la nuit. Si la narration se perd, parfois, dans une fable teintée de non-dits au milieu des paysages fantastiques, Emin Alper (qui a lui-même grandi dans les montagnes d'Anatolie) compose un métrage éminemment contemporain à la beauté tragique. Un conte à part.

En bref!

Servitude, patriarcat et rêve d’émancipation; au milieu des montagnes isolées d'Anatolie centrale, Emin Alper signe une fable onirique contemporaine qui rien que pour sa photographie enivrante mérite déjà un détour.

3,5/5 ★

Plus d'informations sur «A tale of three sisters» . Au cinéma le 29 janvier prochain.

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