Interview

Jeff Bridges: cool attitude

Cité à l'Oscar pour sa formidable prestation dans «Manipulations», où il incarne le Président des États-Unis, Jeff Bridges affiche depuis toujours la solidité et la décontraction qui ont fait sa légende.

Jeff Bridges: cool attitude

Q:Vous faites un président très convaincant dans «Manipulations»...A:C'est très amusant à jouer. On en a l'apparence sans en avoir les responsabilités...Q:Pourtant, ce n'est pas un personnage sympathique.A:Ah, je suis heureux que vous disiez ça. Je voulais lui donner un peu de profondeur: il ne pouvait pas être seulement le bon face au méchant. Il fait ce qu'il doit faire, quitte à jouer des coups pas très francs.Q:Vous êtes enthousiaste, après toutes ces années?A:Non, je ne l'ai jamais été. Mon père, Lloyd Bridges, était très enthousiaste. Il pensait que c'était un métier formidable, qu'il n'y avait rien de mieux au monde, et il nous a poussés, moi et mon frère, à devenir acteurs. Mais moi, j'avais besoin de me singulariser, de sortir de l'ombre de mon père. Donc, pendant longtemps, je ne voulais pas être acteur comme lui. Je me cherchais. Q:Mais vous avez commencé à huit mois!A:C'est vrai. Ma mère était sur un plateau, pour regarder mon père travailler, et elle avait son bébé – moi – dans les bras. Le metteur en scène a eu besoin d'un nourisson pour mettre dans les bras de Jane Greer. C'est comme ça que tout a commencé. Trente ans plus tard, je tournais «Contre toute attente», et voilà Jane Greer qui s'avance vers moi: «Tu te souviens?» me dit-elle. Moi, je ne me souvenais de rien, évidemment. Mais ça nous a fait bien rire. Q:Revenons à vos hésitations.A:Oui. Bref, à 20 ans, je venais de tourner quelques films, mais je n'étais pas sûr que c'était ma voie. Je pensais me lancer dans la chanson, chose que j'ai faite l'année dernière avec mon disque «Be Here Soon», mais c'est une autre histoire. Donc, en 1970, je suis là à me demander quoi faire, et je commence à être connu. L'un de mes films, «The Last Picture Show», avait eu un immense succès, et je venais de travailler avec John Huston pour «Fat City». Puis on me propose «The Iceman Cometh», la pièce de Eugène O'Neil. C'est un classique, et en plus, le casting était formidable, avec Lee Marvin dans le rôle principal. J'hésitais. Finalement, James Mason est venu me voir, et m'a dit: «C'est une occasion unique. C'est beau, c'est long, c'est dur. Fais-le et tu verras après». J'ai suivi son conseil, et je suis resté acteur.Q:Quels sont les grands films de votre carrière?A:Pour moi, c'est «Le Canardeur», de Michael Cimino, «Tucker» de Francis Coppola, «Suzie et les Baker Boys» de Steve Kloves, «Fisher King» de Terry Gilliam et «The Big Lebowski» des frères Coen. Avec une mention spéciale pour «État second», le film de Peter Weir.Q:Il y a eu aussi le terrible échec de «La Porte du Paradis»...A:Quand nous avons tourné le film, avec Michael Cimino, nous savions que c'était un film différent, qu'on n'avait jamais mis en scène les immigrants du Far-West de cette manière. Le film racontait les illusions perdues, le Rêve Américain brisé... Quand «La Porte du Paradis» est sorti, ça a été terrible. La critique a été dévastatrice. Le public n'a pas suivi. Le flop a été retentissant. Je crois que Cimino ne s'en est jamais relevé. Nous, les acteurs, nous avions le coeur brisé, mais nous étions tous, déjà, dans d'autres films.Q:À quoi attribuez-vous votre longévité?A:Au fait que je n'offre pas une image précise. Je suis sans aspérités. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on m'a nominé quatre fois aux Oscars, et que je ne l'ai jamais eu. On connaît mon visage, on connaît mon travail, mais je n'ai pas une image très forte. On me perçoit comme un type gentil, sans histoire. Ce que je suis, par ailleurs. Q:On a aussi dit que vous êtes «l'acteur le plus sous-estimé» de votre génération.A:Je n'ai pas cette impression. J'ai tourné des films formidables, comme «Fisher King» ou «The Big Lebowski»... On n'arrête pas de me proposer des rôles. Ma carrière va bien, mon mariage va bien, mes trois filles font de bonnes études, qui est sous-estimé là-dedans?Q:On a aussi dit que vous aviez flirté avec la drogue et pas mal d'actrices.A:C'est vrai. La drogue, c'est un bien grand mot: j'ai fumé quelques joints dans les sixties, et j'aimais bien ça. Les actrices, bof, il y en a eu, bien sûr... Q:Considérez-vous, comme certains, que vous faites un métier difficile?A:L'autre jour, je travaillais avec James Woods et Taylor Hackford sur le DVD de «Contre toute attente». Je racontais comme la scène d'amour avec Rachel Ward avait été difficile à tourner, et Woods se tourne vers moi et me dit: «Ouais, Bridges! C'était un boulot super dur, hein?» On a éclaté de rire. Et, pour répondre à votre question, non, je ne considère pas que je fais un métier difficile.Q:Vos filles seront actrices?A:Je ne sais pas. Ça fera la troisième génération dans le même job, c'est peut-être assez, non?

25 octobre 2002

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