Interview

Clotilde Coureau : On a vécu dans la mort pendant tout le tournage, ça m’a habité jusque dans ma vie privée.

Attendu dans les salles romandes ce mercredi, Le Ciel Attendra était l’une des sensations du Festival de Film de Locarno cet été où il a été présenté en première mondiale. Après Les Héritiers, qui remettait l’éducation par l’école au centre du débat, la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar revient avec un sujet sensible profondément ancré dans l’actualité: l’embrigadement de jeunes filles prêtes à tout pour partir faire le Djihad. Noémie Merlant et Noami Amarger – aperçues dans Les Héritiers – y incarnent Sonia et Mélanie, où l’une entame un processus de dés-embrigadement pendant que l’autre progresse peu à peu vers le chemin de la radicalisation. Au milieu d’elles, Clotilde Courau joue une mère désemparée qui voit sa fille partir en Syrie rejoindre l’État Islamique. Discussion autour de ce thème délicat avec les trois actrices concernées.

Clotilde Coureau : On a vécu dans la mort pendant tout le tournage, ça m’a habité jusque dans ma vie privée.

Interview réalisée par Alexandre Caporal pour Daily Movies

N’a-t-on pas peur de se lancer dans un tel projet, avec un sujet aussi douloureux et actuel ?

Clotilde Courau (Sylvie) : Quand Marie-Castille m’a fait lire le scénario, j’avais une grande appréhension. Mais il était d’une telle justesse, il proposait un angle différent de tout ce qu’on a pu voir sur l’embrigadement. Cela parle du courage des parents qui font face à un tel événement et leur volonté de retrouver leurs enfants.

Noémie Merlant (Sonia) : J’étais heureuse de retravailler avec Marie-Castille après Les Héritiers. C’est quelqu’un de formidable, de très humain, qui fait des films d’utilité publique. C’est pour cela que j’ai accepté rapidement. Le tournage a débuté trois jours après les attentats de Paris en novembre 2015. C’était un moment extrêmement difficile qui nous a donné une raison encore plus forte de faire le film…

Clotilde : Je n’avais pas pris la mesure de la douleur que pouvait provoquer le tournage en m’engageant. Là, j’ai eu un vertige. Je me sentais incapable d’incarner ce rôle et de parler de ce sujet face à cette gravité et cette douleur qui nous entourait. Je devais être à la hauteur des victimes et des parents, mais j’avais peur de m’y frotter. On a vécu dans la mort pendant tout le tournage, ça m’a habité jusque dans ma vie privée. Je me réveillais la nuit. J’ai été très touchée par cette mère, dépassée par les événements, qui ne comprend pas ce qu’il est en train de se passer.

Justement, comment se prépare-t-on à un rôle dans de telles circonstances ? On parle d’un phénomène qui est encore en train de se produire, cela devait être difficile d’aller à la rencontre des victimes ?

Clotilde : J’ai entendu des témoignages mais je n’ai pas rencontré de parents malheureusement. Pour incarner Sylvie, j’ai pensé à toutes les mères. Je voulais être habitée par l’universalité, remettre l’humain au centre des préoccupations.

Noémie : Pour ma part, j’ai pu rencontrer des jeunes filles en processus de dés-embrigadement. C’est un travail en profondeur qui demande de l’investissement. Naomi et moi sommes toutes les deux françaises donc on a du apprendre des mots en arabe et des prières spécialement pour le film. Je voulais connaître mon sujet parfaitement pour pouvoir en parler. Il fallait une part d’improvisation aussi, mon personnage est déjà embrigadé, donc elle est dans une phase de folie et de schizophrénie. Mais je me suis retrouvée en elle dans son questionnement, sa froideur, et ses angoisses sur le monde et la vie après la mort.

Naomi Amarger (Mélanie): Le caractère de Mélanie me ressemble beaucoup, il est vrai que Marie-Castille l’a écrit avec les connaissances qu’elle avait déjà de moi. Mais le moment le plus difficile était de rentrer en confrontation avec ma mère, je ne suis pas du tout comme ça dans la vraie vie et j’ai eu beaucoup de mal à me rebeller. À ce moment précis, j’avais du mal à m’identifier à Mélanie et à la comprendre. J’ai du me détacher de tout acte rationnel en essayant de comprendre son aliénation suite à l’embrigadement.

C’est la première fois que l’on traite ce sujet du coté des jeunes filles. Le choc en ressort plus grand, peut être car nous les soupçonnons moins à se radicaliser ?

Clotilde : Ça peut tous nous arriver. Autant parent qu’enfant. Il fallait sensibiliser les gens sur le fait que l’embrigadement n’a pas de sexe, de religion, de nationalité ou de milieu social. On a tous des adolescents fragilisés par la mort, en rupture avec leurs parents, et dans une quête identitaire et spirituelle. Ça paraît incompréhensible tant que cela ne nous touche pas personnellement. On a tendance à penser que cela n’arrive qu’aux autres, à ignorer la généralisation du problème. L’utilité du film est là. Rendre tout le monde conscient de l’universalité du problème.

Les adolescents sont dans une quête identitaire et spirituelle. Ils ont souvent besoin d’un référent, d’un guide, pour trouver un sens à leur vie, répondre à leur peur de la mort. Pensez vous que l’on en manque dans notre société ?

Clotilde : Je ne sais pas, chacun doit décider ce qui lui manque. Au lieu de subir, c’est déjà bien d’essayer de comprendre, de trouver quelqu’un à qui parler, sans s’enfermer dans un sentiment d’impuissance et d’écrasement. L’important est de tisser le lien humain.

Noémie : Personnellement, je ne peux qu’être d’accord avec ça car je suis moi même en quête de spiritualité et en plein questionnement religieux et spirituel. Aujourd’hui, je suis informée sur la question de la radicalisation, ses dangers, et je n’ai plus le même âge que ces adolescentes (Noémie Merlant a 27 ans, ndlr). Mais vu ce que je traverse, je comprends totalement que des jeunes filles soient perdues et tombent dans les mains des djihadistes. Dans notre société il faut à tout prix réussir, avoir de l’argent pour gagner sa liberté, être à la mode, soigner son apparence. Il y a une overdose du système qui entraine l’homme à se détruire. Les réponses qu’apportent les djihadistes aux questionnement de ces jeunes ont beau être fausses, elles font sens à ce qui leur manque sur le moment.

Naomi : Mon personnage est avant tout en quête d’amour. Elle veut se sentir exister, avoir de l’importance aux yeux de quelqu’un. Elle est athée mais n’est pas spécialement en quête du religieux. Plus simplement, elle recherche l’absolu, une vraie histoire d’amour, humaine et respectueuse, loin de ce que propose la société d’aujourd’hui.

Quelle est l’importance de l’éducation pour combattre la radicalisation ? Ce film s’inscrit aujourd’hui comme une évidence en terme d’information et de sensibilisation dans les écoles…

Clotilde : Je n’aime pas le mot combattre, je préfère le mot construire. L’éducation, comme la culture et le cinéma, a forcément son importance à jouer dans les solutions contre l’embrigadement. La résonance du film permettra de dialoguer, de se questionner, d’affronter nos peurs, et de réunir les gens. Que ce soit dans des salles de cinéma, dans des écoles, chez nous à la maison, en famille ou entre amis, on discutera d’un sujet qui nous touche tous autant que nous sommes.

Naomi : Il faut se dire que l’embrigadement est plus facile aujourd’hui car on manque de connaissances religieuses. On enseigne que très peu l’histoire des religions à l’école. Du coup, les djihadistes peuvent raconter n’importe quoi sur l’Islam. Si on s’y intéressait plus, peut être qu’on ne croirait pas à ce type de mensonges. On voit également dans le film l’importance d’internet et des réseaux sociaux. Tout va très vite, sans aucun filtre, les adolescents se retrouvent bien plus vite devant un surplus d’informations qu’ils auront du mal à trier. Il faut qu’il y ait d’avantage de sensibilisation sur la question.

Noémie : Le plus important pour moi c’est le dialogue. Il faut parler aux jeunes du sens de la vie, arriver à parler de nos peurs, et chercher des réponses et des solutions ensemble.

4 octobre 2016

Autres interviews

Les Rencontres de Cineman: Pierre Richard pour sa nouvelle comédie “Un profil pour deux”

Les Rencontres de Cineman: Charlie Hunnam, Sienna Miller et James Gray nous parlent de «The Lost City of Z»

Entretien avec Gérard Jugnot (Vidéo)